Association pour létude des littératures africaines (APELA) Appel à communications Colloque 2019 Aix-en-Provence, 25-27 septembre 2019
Le lien de la
littérature au passé constitue une préoccupation constante de lAPELA dont témoignaient
les journées « Littératures africaines et Histoire » (Nanterre, 1989)
et « Lieux de mémoire africains » (Paris XIII, 1998). Plus récemment,
la journée « Tranches dhistoire » organisée à lUPEC en 2014 a porté
sur lhistoriographie des littératures africaines, tandis que le colloque de
Bordeaux « Archive, texte, performance » sattachait plus
spécifiquement en 2013 aux relations entre archive et performance (archiver la
performance, performer larchive) telles que les littératures et les arts des
Afriques offrent de les penser. En envisageant aujourdhui de concert archives
matérielles et traces mémorielles, il sagira moins de reconduire sans autre
interrogation lopposition entre histoire et mémoire que denvisager la
contribution des littératures africaines (incluant notamment lAfrique
méditerranéenne) et des diasporas à la reviviscence des archives et à leur
circulation, tout comme à linscription des traces mémorielles et à leur
historicisation.
Demblée, par sa
matérialité et sa dimension multiforme et hybride, larchive interroge les
cloisonnements disciplinaires. Récits, cartes, photographies, correspondances
privées, de toute évidence, larchive nous force à un décloisonnement des
savoirs et à une pratique de lindiscipline (Suchet, Loty). À la lisière de
lhistoire, de lanthropologie, de la littérature ou encore de lhistoire des
arts, larchive est un matériau total qui appelle à louverture disciplinaire
que ce colloque entend pratiquer.
I. Archives matérielles
Deux types darchives peuvent être envisagés. Dune part les fonds darchives
existants, quils soient déposés dans des lieux publics ou quil sagisse darchives
privées, que peuvent mobiliser et utiliser des écrivains, mais également les
fonds darchives que ces derniers peuvent constituer à leur fins propres, pour
leur travail décriture. Dautre part, les archives décrivains dans un sens
génétique, que constituent les différents écrits préparatoires et les
différentes étapes décriture dun manuscrit.
Dans une perspective dhistoriographie des
littératures, mais aussi détablissement des bases matérielles dune étude
objectivante des relations entre littérature et histoire, il paraît important
de pouvoir procéder à un travail de localisation, repérage, inventaire et
analyse des fonds darchives, que ces dernières soient textuelles, iconiques ou
sonores, quil sagisse darchives coloniales ou plus récentes, de fonds
publics ou privés, quelles soient actuellement numérisées ou non, accessibles
sur la toile ou non.
A/
Usages des archives
Les littératures africaines se sont souvent
nourries des archives. À la différence de lhistorien, le romancier nest
toutefois pas tenu à lexactitude de la citation de ses sources, entretenant un
rapport beaucoup plus libre à larchive de lordre de linspiration, de
lallusion, voire de simple recours à un support pour la rêverie poétique. Avec
quelles modalités ces intrusions de larchive seffectuent-elles en
littérature ? De quoi larchive y est-elle la trace ? Quelle poétique
de larchive peut-on élaborer dans les littératures africaines ? Y a-t-il
des limites éthiques à ces usages affranchis des archives et si oui quelles
seraient-elles ?
Ayant recours à larchive, les écrits
littéraires « semparent dun souvenir » (Benjamin) et contribuent à
lélaboration collective dun récit historique à portée politique le plus
souvent. Comment la remise au jour et la réinvention de figures oubliées
contribuent-elles à des politiques de la mémoire à différentes échelles ? Et
comment l'archive sensible (Basto, Marcilhacy, 2017) met-elle en oeuvre la
critique d'un savoir comme vérité unique ? Aux côtés des archives
institutionnelles (administratives, de santé…), la myriade des archives privées
(Guidi, Rillon) ou des « archives hors les murs » (Fouéré) pose
également la question de la littérarité des archives personnelles : les
archives de lintime, lautographie constituent des faits décriture importants
en Afrique, mais qui ne sont le plus souvent interrogés quen histoire et sous
langle de leur apport documentaire. Or lédition de ces récits de vie forme
aussi, adossée à celle des supports matériels de conservation des archives
(malles, cantines, carnets…), une question littéraire dinscription de lintime
et décriture de soi.
B/ Génétique et archives
La localisation
en Europe des archives décrivains africains pose en outre de nombreux
problèmes daccessibilité pour les chercheurs. Inversement en Afrique, pour
celles qui y sont demeurées leur conservation nest pas sans soulever des
questions pratiques et techniques dimportance. La question de la conservation
et de laccessibilité présente ou future des fonds darchives déditeurs se
pose également. En génétique, des travaux analysent actuellement les usages et
réutilisations des archives personnelles par des écrivains qui dans leur
pratique décriture, à linstar de Sony Labou Tansi, créent en se récrivant
incessamment. Cette poétique de la réécriture où larchive personnelle devient
un document pour sa propre réélaboration doit être interrogée. Dautres travaux
mettent en évidence, grâce à létude des archives, des éléments de lhistoire
des œuvres jusqualors méconnus des chercheurs (Corcoran, Delas, Ekoungoun,
2017). Or la diversité matérielle des archives décrivains (scripturale,
sonore, iconique, papier ou numérique) pose à cet égard, tout comme les
procédures de reproduction, des enjeux cruciaux.
II. Traces mémorielles
A/
Traces mémorielles, traces effacées de vies minuscules
Larchive touche une problématique
particulièrement littéraire : celle de la trace de lintime. Larchive
constitue le signe dune « vie minuscule ». Ce que Carlo Ginzburg
nommait la « trace », l« indice » correspond à des
biographies dont la littérature sattache à reconstituer les parcours, voire à
souligner les vides et les creux. Quelles vies minuscules sont interrogées dans
les archives dès lors quelles sont abordées selon le paradigme indiciaire au
sein duquel labsence fait aussi trace ? Que disent et que font les
littératures africaines des traces de lintime ? Comment sy nouent les
articulations entre lintime et le collectif ? Le récit peut-il prendre la
place de ce qui a été radicalement effacé, voire plus encore, nié ? Ces
questions se posent notamment dans les sociétés post-traumatiques et les temps
post-génocidaires, quand le récit invente la trace de ce qui navait pu en
laisser. La trace mémorielle peut aussi faire lobjet dune élaboration voire
dune perlaboration dans le cadre dun « atelier de mémoire » et de
« cahiers de mémoire » (Prudhomme, 2017). Quelle contribution la
littérature apporte-t-elle à ces entreprises et quelles seraient les limites de
cet apport ?
B/ Le
travail de rappel de la littérature
Dans La
Mémoire, lhistoire, loubli (2000, 47) Ricœur reprend la tripartition de
Casey distinguant le rappel (Reminding)
de la reviviscence (Reminiscing) à
travers la mémoire méditative (Gedächtnis)
et enfin de la reconnaissance (Recognizing),
complément du rappel comme re-présentation du souvenir. La rémanence mémorielle
est lenjeu de tensions soulevées par certains entre littérature et histoire,
et nouées dans la relation à la trace matérielle vs. mémorielle. Ricœur (2000, 49) estime classiquement que
« les lieux “demeurentˮ comme des inscriptions, des monuments,
potentiellement des documents, alors que les souvenirs transmis par la seule
voix orale volent comme le font les paroles ». Inversement, Alexie
Tcheuyap (2006) estime que larchive historique est de nature à « séquestrer »
la mémoire. Quant à Tahar Djaout (1988, 27), il écrivait percevoir dans
lhistoire une forme d« usurpation » : lauteur des Chercheurs dos (1984) dénonçait ainsi
lempire voire lemprise de la mémoire collective ou communautaire sur la trace
personnelle et sa réactivation.
Mais la littérature ne constitue-t-elle pas
justement une médiation offrant un échappatoire à la dichotomie entre présence
matérielle des documents et volatilité des traces mémorielles ? De ce
point de vue, quels peuvent être les rôles et modalités de transmission
renouvelés à travers les littératures orales ? Comment les traces
linguistiques – des langues africaines dans les textes littéraires europhones
et inversement, mais aussi des processus linguistiques eux-mêmes (Van den Avenne,
2017) – opèrent-elles à titre darchives mémorielles du texte ? En quoi et
comment le texte littéraire se constitue-t-il en archive des langues, des
discours et en palimpseste mémoriel ?
On pourra également envisager les formes de
récit comme processus de remémoration depuis les traces, à travers notamment le
genre des mémoires et autres genres mémoriels le plus souvent hybrides, et se
demander quand dautres formes de récit doivent suppléer au défaut de
lécriture, ainsi lorsquil sagit dinscrire une autre forme de trace, sur les
lieux.
C/
Traces des mobilités, mobilités des traces
Les lieux de mémoire recueillant le dépôt des
traces ne sont pas de nature exclusivement topographique. De même que les
archives peuvent être lacunaires ou encryptées, les traces font lobjet de
délocalisations et de relocalisations, ainsi que le rappelle larchéologie des
migrations (Garcia, Le Bras, 2017). Linventaire des traces des migrations et
leur analyse recomposent ainsi des circuits inversés et/ou complexes. On peut
considérer les archives comme des traces matérielles qui auraient migré vers
leurs lieux de conservation, particulièrement nombreux et significatifs pour
lAfrique en région PACA. Le colloque portera attention aux traces mémorielles
des migrations et à leurs inscriptions en littérature : inscriptions de
traces culturelles (cuisine, musiques, architecture…) dans les textes,
diasporas africaines sur dautres continents, migrations africaines hors du
continent, et notamment de lautre côté de la Méditerranée, en région PACA,
mais aussi migrations et diasporas sur le continent, dans leurs aspects
littéraires ou la recomposition et la réinvention littéraires de traces de
diasporas qui en ont a priori peu
déposé dans lhistoire culturelle.
Archives matérielles et traces mémorielles
relèvent enfin dune poétique double. Larchive constitue une trace matérielle,
« lapparition dune proximité, quelque lointain que puisse être celui qui
la laissée » (Benjamin, 2009), tandis que laura dont dispose la trace mémorielle
signe « lapparition dun lointain, quelque proche que puisse être celui
qui lévoque » : « avec la trace, nous nous emparons de la
chose ; avec laura, cest elle qui se rend maîtresse de nous[1] ». En quoi et comment
les littératures africaines et leurs lectures illustrent-elles ce double
mouvement ? Mais cette dualité a aussi vocation à être revisitée,
contestée ou révisée. La collecte et la récolte des traces, parfois des débris
dédaignés voire perdus, constitue en outre une « protestation contre le
typique et le classifiable » (Benjamin) : quels agencements, quels
dispositifs littéraires configurent les documents de manière à ce quy subsiste
ou sy reforme une trace mémorielle potentiellement transmise ? en quoi
peuvent-ils receler une insurrection contre le catalogage et les
classifications des discours scientifiques ?
Ouvert à lensemble des Afriques,
subsahariennes mais aussi notamment méditerranéenne, ainsi quaux diasporas,
tout comme aux comparaisons avec dautres ensembles de littératures construites
par la « situation coloniale » (Balandier, 1951), ce colloque entend
interroger, à travers un dialogue interdisciplinaire, poétiques, réécritures,
circulations et usages des archives et des traces en littérature en langues
européennes comme en langues africaines. Il accueillera les communications de
spécialistes des études littéraires mais fera aussi une place significative à
celles darchivistes et spécialistes de la conservation des archives,
dhistoriens, danthropologues, dartistes et spécialistes des arts de la
scène, de limage et du son, en particulier lors de panels
« indisciplinés ». Il souhaite également proposer un work in progress sur les usages de
larchive grâce à la présence et la collaboration dartistes et décrivains.
Les
propositions de panels ou de communications (titre et résumé dune demi-page
maximum) sont attendues pour le 15 juin 2018 au plus tard, accompagnées
de vos nom, prénom et affiliation, à adresser conjointement à
catherine.mazauric
[at] univ-amu.fr et
e.bertho [at] sciencespobordeaux.fr
Réponses
du comité scientifique : à partir du 16 juillet 2018
Comité dorganisation :
Elara BERTHO, LAM, Bordeaux
Catherine MAZAURIC, CIELAM, Aix Marseille Université
Henri MÉDARD, IMAf, Aix Marseille Université
Anouchka Stevellia MOUSSAVOU NYAMA, CIELAM, Aix
Marseille Université
Marjolaine UNTER ECKER, CIELAM, Aix Marseille
Université
Cécile VAN DEN AVENNE, Clesthia, Sorbonne
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