02 09 18 Après Joseph Kabila, un autre Kabila à la tête de la RD Congo ? Par Rose Mbamulu, journaliste

Non aux « élections, pièges à cons », Haro au poker menteur ! 
Nul besoin, ici, de citer de manière exhaustive les cas qui illustrent mes appréhensions. Il suffit seulement de considérer ce qui s’est passé en RDC avec les élections de 2006 et 2011. Après dix-sept ans aux affaires, le régime de Kabila ne s’est pas démocratisé ni humanisé. Il a routinisé la tricherie, la fraude à la Constitution et le hold up électoral. Il est donc illusoire d’espérer que les élections prochaines soient démocratiques. Tout porte à croire que les fossoyeurs de la démocratie sont déjà à l’œuvre et creusent déjà sa tombe : une CENI politisée et instrumentalisée par le camp de Kabila, Un Conseil d’État partisan et partial, une Cour constitutionnelle composée des soupirants à la distribution du patronage. Le linceul qui couvrira la démocratie est déjà confectionné : machine à voter, disqualification de M. Katumbi, invalidation intéressée des candidatures de Jean-Pierre Bemba et Adolphe Muzito, non-décrispation de la scène politique, collusion entre le Front commun pour le Congo (FCC) et l’exécutif, injonctions du pouvoir à la CENI, immunité promise au président Kabila… Du reste, il est presque évident que l’ingénierie de la Majorité présidentielle nous servira la même rengaine connue qu’en 2006 et 2011 : accès aux ressources financières et organisationnelles de l’État par le pouvoir (monopolisation des fonds publics et des médias), manipulations du fichier électoral, cafouillis de la configuration des bureaux de vote, brouillage des élections (kits biométriques non conformes, cartes d’électeurs sans aucune validité juridique, enrôlement d’enfants, des étrangers, déportation des électeurs, publications aléatoires du nombre d’électeurs enrôlés), tripatouillages des résultats électoraux, inaccessibilité des serveurs à l’opposition, impossibilité d’audit du fichier électoral, inaccessibilité de nombreux bureaux de compilations par les témoins et observateurs, impossibilité d’atteindre le Centre national de traitement des résultats, attaques d’une véhémence frénétique contre la liberté d’expression et d’association, coercition et répressions ouvertes, achats de vote, monopole et utilisation impudente de la Radio et de la Télévision nationale, délire verbal et surenchère démagogique avec des émissions publiques qui annulent tout débat possible, intimidation des leaders de l’opposition, administration électorale partiale, procès-verbaux contradictoires, modifications impromptues de la distribution géographique des bureaux de vote, officialisation tardive de la cartographie électorale, confusion et impossibilité de vérifier les résultats… et répression violente des manifestations contre le hold up électoral. 
Il semble que rien n’est fait pour se prémunir contre les élections volées. Force est de constater que les Congolais sont prêts à aller aux élections que Fabien Kusuanika qualifie avec justesse de « tala mbote camarade » (poker menteur), sans avoir tiré les leçons des élections passées ni s’être donné les garanties des élections transparentes, démocratiques, inclusives et apaisées. Le problème majeur de la non-application de l’Accord de la Saint-Sylvestre n’a donné lieu à aucune prise de position radicale et prospective de l’opposition. Pour être parfaitement cohérente et conséquente avec elle-même, il aurait fallu que l’opposition boycotte les élections pour non-application de cet Accord. Le plus curieux, c’est que tout se passe comme si pour l’opposition, la non-candidature du président Kabila, le retrait de la machine à voter et une candidature commune de l’opposition constituent les gages de sa victoire certaine. La pire menace aux prochaines élections, me semble-t-il, n’est pas la machine à voter, mais bien l’accommodement et la résignation de l’opposition à l’application sélective de l’Accord de la Saint Sylvestre. 
Amarrer le bateau Congo : le choix du principe de réalité contre le principe de plaisir
À dire vrai, l’appel à lâcher bientôt les amarres pour le rivage démocratique sous la houlette de nouveaux navigateurs politiques ne doit pas éluder l’interrogation sur l’état du bateau Congo. Après plus de cinq décennies d’errance dans les eaux troubles de la dictature, de la mondialisation, du néocolonialisme, du néopatrimonialisme et du néolibéralisme outrancier, le bateau Congo a un gouvernail cassé, une coque trouée, une étrave fissurée, la passerelle délabrée, des moteurs avariés, un pont endommagé, le radar et le système de positionnement en panne, la table à cartes cassée, des canots de sauvetage insuffisants, des matelots inexpérimentés. Ce n’est pas le fait de repeindre le bateau, de changer son équipage et de le doter de nouveaux mécaniciens ni de lui donner un timonier expérimenté qui va augmenter sa performance. Les conditions climatiques et météorologiques ne présagent pas une croisière apaisée. Le ciel du Congo est déjà assombri par des nuages de la tricherie. On entend de loin des grondements de tonnerre d’insatisfaction de la société civile et les rafales des objections de l’opposition. Des éclairs des menaces du Comité Laïc de Coordination (CLC) traversent le ciel. À l’horizon se profile le spectre d’une crise électorale majeure et généralisée, le contexte institutionnel et l’environnement sociopolitique n’étant pas propices à une randonnée électorale. Sauf à vouloir être suicidaire, il faut au bateau Congo une trêve d’aguerrissement avant de prendre le large. 
Il convient donc que le peuple reprenne l’initiative, qu’il soit consulté et qu’il fasse des recommandations, propose des modifications majeures. En bonne orthodoxie, sur le terrain des principes, il est tout de même paradoxal pour l’opposition d’accepter les règles du jeu imposées par la CENI en connivence avec le camp Kabila. Il y a des mesures à prendre et certainement une nouvelle Constitution à rédiger pour protéger la nation congolaise. Plutôt que de reconduire une Constitution taillée sur mesure et des provinces décentralisées dans un but électoral, au lieu d’avaliser la présence des milices et gardes prétoriennes, un Parlement Croupion et sans légitimité, il convient de reconstruire l’appareil judiciaire, rédiger une nouvelle loi électorale (revenir aux deux tours des élections), nommer de nouveaux membres du Conseil constitutionnel et du Conseil d’État, et renouveler les membres de la CENI. Ces réformes sont à mes yeux des préalables à toute éradication du kabilisme et une manière de conjurer la reproduction de l’autoritarisme. La méprise consensuelle de l’opposition ne peut qu’engendrer des surprises conflictuelles comme ce fut le cas en 2006 et en 2011.
Ici, il ne faut pas se tromper de cible, car l’ennemi à éradiquer n’est pas la machine à voter ni son instigateur, mais plutôt le système qui a servi de béquille au régime du président Kabila. Sans cet exorcisme, le système se reproduira sur la fragilité congénitale de l’État congolais. Faut-il rappeler ici à la suite du pasteur François-David Ekofo et des évêques de la CENCO que l’État congolais n’existe pas ? Ne nous voilons pas la face, l’effacement historique de l’État congolais, la défection de l’État de droit et l’exil des mœurs démocratiques en RDC devraient mobiliser les partis d’opposition pour une lutte pied à pied en faveur de l’éradication de la kabilie et de sa médiocre perversité. 
Les questions à se poser avec insistance sont dès lors celles-ci : comment et pourquoi en est-on arrivé là ? Que faire pour ne pas retomber dans un autre autoritarisme ?
La réponse à ces questions balisera le chemin d’un État de droit en RDC, consolidera les fondamentaux de la démocratie et créera les conditions propices à des élections libres, transparentes, démocratiques, inclusives et apaisées. À cet égard, se passer d’une remise en question du système mis en place par les 17 ans d’impolitique du clan Kabila (médiocrité, impéritie et perversion), c’est donner une caution à la subversion des valeurs, avaliser la régression démocratique, soutenir l’érosion du consensus sociale, entériner la mise sous tutelle de l’État congolais et préparer une fausse alternance politique. Plutôt que de soupirer après des élections dans un contexte de dilution politique, il faut s’engager à la déconstruction du système Kabila. Se dérober à cette déconstruction, c’est offrir un boulevard à la Majorité, condamner le pays à l’inanité, reconduire l’autoritarisme ante, souscrire à une succession de Kabila par un autre Kabila et consolider la colonisation à rebours du Congo par ses voisins. 
Une victoire possible du camp de Kabila ? C’est la pérennisation de la Kabilie 

Il n’est pas besoin d’être devin pour comprendre ce qui peut résulter d’une victoire du dauphin de Kabila aux élections présidentielles. Le candidat imposé par le président Kabila au FCC vaut-il objectivement ? Que représente-t-il comme valeur et charrie-t-il l’espoir d’un Congo autre ? 
Rappelons à ceux qui l’auront déjà oublié qu'Emmanuel Shadary, c’est l’un des caciques de la Majorité présidentielle, un dur parmi les faucons qui gravitent autour de J. Kabila. C’est aussi le pourfendeur de Moïse Katumbi, le belliqueux secrétaire du Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD). L’ancien vice-premier ministre et ministre de l’Intérieur du président Kabila est sous le coup des sanctions de l’Union européenne et des États-Unis d’Amérique. Il n’est pas à présenter aux Congolais tant il a acquis une notoriété dans la délinquance et la violence verbale (toza na mopatasse, soki babeti yo, yo pe obeti, soki moto afingi mama na yo yo pe finga mama na ye). Il passe pour un farouche détenteur du pouvoir qui ne veut rien céder à l’opposition. Monsieur « coup sur coup », « le bulldozer », celui que le porte-parole du gouvernement présente comme un « catholique pratiquant », est responsable de la répression sanglante des marches organisées par le CLC. Les massacres des Kasaïens et l’assassinat des deux agents de l’ONU ont été perpétrés pendant qu’il était à la tête du ministère de l’Intérieur. On lui impute aussi la responsabilité des fosses communes de Maluku.
Une victoire de Shadary consolidera certainement l’autoritarisme du pouvoir et servira de bouclier à J. Kabila, à sa famille, à sa parentèle et à ses alliés. Elle perpétuera leur mainmise sur l’économie et garantira leur immunité juridique. Bien que feignant avoir jeté du lest, J. Kabila dont la motivation démesurée de rester au pouvoir est clairement affichée, pérennisera son pouvoir grâce à son dauphin. À l’usage, celui-ci se réduira en un stupide, mais fidèle pantin qui reproduira le système de Kabila. La barbarie du pouvoir et la vénalité des membres du parti État (FCC), sur la tête de qui plane de manière constante l’épée de Damoclès agitée par les parrains du régime, feront le lit de la reconduction de l’autoritarisme de Kabila.
Une victoire probable de l’opposition ? C’est un autre Kabila à la tête du Congo.
Un autre scénario est probable : une victoire du candidat de  l’opposition aux élections présidentielles. Si ce scénario devait se vérifier, la RDC aura à sa tête un autre Kabila. Ce jugement peut paraître excessif et connoté de pessimisme. Il n’en demeure pas moins qu’il invite à réfléchir. En effet, avoir un nouveau président avec une Constitution qui renforce le présidentialisme, c’est se retrouver demain avec un autre Kabila tant le pouvoir exorbitant que la Constitution lui reconnaît amenuise l’action des contre-pouvoirs. On le sait, les arènes judiciaires, législatives, électives et les médias sont légalement asservis entre les mains du président de la République. Reconduire cet ordre des choses ne va pas accoucher d’une démocratisation du Congo. Il y a autre chose. La victoire de l’opposition étant arrimée à une improbable coalition de cette dernière, elle exclut une confrontation loyale, une compétition pacifique des différents partis d’opposition. Ceci ne représente pas à mes yeux une victoire de la démocratie, car, si victoire il y a, elle le sera au détriment d’un débat sur les différents projets de société en présence. 
Le mot de la fin : une transition sans Kabila et le Congo sera démocratisé

Pour dire le fonds de ma pensée, je plaide pour le report des élections et la tenue des états généraux de la République. Je suis favorable à une transition qui balise les voies d’une véritable démocratisation du Congo, et organise des élections libres, démocratiques, inclusives et apaisées. Postposer les échéances électorales pour un Congo autre me semble une nécessité impérieuse qui n’est pas aporétique. Sa concrétisation n’est pas liée à l’omniprésence aux affaires des fossoyeurs de la démocratie. Aller aux élections serait une prime exorbitante à leur donner, prime qui insulte la mémoire de ceux qui ont été fauchés par les médiocres en cravates ou en uniformes. En clair, il faut exorciser la rémanence de la kabilie si l’on veut un Congo autre, plus beau qu’avant. Telle est ma conviction : une transition sans Kabila et ses épigones, et le Congo connaîtra des élections libres, démocratiques, transparentes, inclusives et apaisées ! Pour une démocratisation par les élections, il s’avère impérieux d’aseptiser la configuration politique actuelle et de retirer aux fossoyeurs de la démocratie congolaise l’organisation des élections. Même l’homme de la rue comprend que les élections de la CENI sont perdues d’avance, car elles donneront un quitus au pantin de Kabila. Il n’y a que les leaders de l’opposition en proie à des intérêts contradictoires et inavoués qui croient pouvoir faire entrer les chevilles rondes dans des trous carrés en se fiant aux propos lénifiants et à l’arbitrage de la CENI. Je ne comprends pas comment l’opposition qui clame la partialité de la CENI, se range en rang serré pour aller aux élections supervisées par la même CENI qu’elle juge partiale. Je ne m’explique pas pourquoi l’opposition congolaise n’est jamais proactive. Les protestations verbales n’auront jamais raison d’une CENI instrumentalisée et sous la menace permanente du clan Kabila. 

Disqualification de M. Katumbi hier, invalidation de la candidature de J.-P. Bemba aujourd’hui. Et demain ? Ce sera accusations mensongères contre Félix Tshisekedi, Vital Kamerhe qu’on présentera comme alliés de la Majorité. Et après-demain, imposition par les armes de la machine à voter. Quelles stratégies l’opposition met-elle en place pour sortir de la mise en boite des élections congolaises par Kabila ? Rien que des discours et des protestations verbales. Le grand perdant de cette mascarade qui se prépare et de cet échec annoncé, c’est le peuple. C’est Christian Savés qui écrivait : 
« Faute d’avoir au moment opportun, c’est-à-dire lorsqu’il est encore temps, la volonté et le courage humain de prendre des décisions énergiques et radicales, voire cruelles, mais qui n’en sont pas moins nécessaires pour éviter la tragédie, c’est le pire qui devient possible… et même inéluctable ». 
Le pire est devant nous, c’est plus qu’une tragédie. Le naufrage du bateau Congo peut encore être évité si les Congolais s’arment de courage et d’audace pour renoncer aux élections à la Kabila. Trêve de dérobades. À l’opposition de prendre ses responsabilités devant l’histoire, et au peuple congolais de faire prévaloir les prérogatives de sa souveraineté en disant non aux élections de Kabila ! 

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