1820 – Pelletier et Caventou isolent la quinine
C’est par une belle après-midi de l’année 1820 que deux pharmaciens français, Pelletier et Caventou, à partir d’écorces de Cinchona succirubra
(quinquina rouge), isolèrent pour la première fois la quinine, ce qui
permit désormais de peser la quantité exacte de médicament à donner aux
malades impaludés par rapport à leur poids.
Petite histoire du quinquina
Les propriétés antipaludiques du quinquina étaient connues déjà
depuis le XVIe siècle et la conquête de l’Amérique du Sud par les
Espagnols. Les quinquinas sont un groupe
d'une trentaine d'espèces d'arbres de la famille des Rubiaceae
qui poussent à l'état sauvage sur le versant humide de la Cordillère
des Andes, entre 1 500 et 3 500 mètres d'altitude. Les Jésuites du Pérou
qui avaient pris possession de ces terres, après avoir observé que les
autochtones absorbaient de la poudre d’écorce de quinquina en cas
d’accès palustre, commencèrent à en populariser l’usage en Europe. La «
poudre des Jésuites » allait désormais devenir le traitement de choix
des fièvres intermittentes et Louis XIV lui-même fut soigné avec de
l’écorce de quinquina en 1649 à la suite d’une fièvre tenace. À cette
époque, le paludisme sévissait un peu partout en France, des Flandres à
la Camargue en passant par la plaine d’Alsace, les marais de la Brenne,
le marais poitevin, le golfe du Morbihan ou la Sologne pour ne citer que
les régions les plus touchées. Les Solognots étaient d’ailleurs souvent
surnommés les « ventres jaunes », le paludisme infectant les cellules hépatiques. La fièvre donnait la « tremblote », d’où le nom de Tremblevif donné jusqu’en 1854 au village de Saint-Viâtre, en plein cœur de la Sologne des étangs.
Le fils de Louis XIV, le grand Dauphin de France, fut à son tour
atteint d’un accès palustre en 1679 alors qu’on assainissait les marais
de Versailles. La « poudre des Jésuites » ayant fait son effet, le
Roi-Soleil demanda à l’apothicaire Royal de publier un document sur les
bienfaits de ce remède.
En 1735, l'Académie royale des Sciences envoya une expédition
scientifique au Pérou. Elle était composée de plusieurs mathématiciens,
d’un géographe, Charles Marie de La Condamine, et d’un médecin
naturaliste Joseph de Jussieu. Le but premier de ce voyage était
d’effectuer des mesures d'un arc méridien.
Joseph de Jussieu profita de son séjour péruvien pour collectionner
les spécimens de quinquina et en faire la description, mais suite à des
vols et une série de naufrages l’ensemble du travail du médecin
naturaliste fut perdu à l’exception d’une étude des quinquinas de la la
région de Loja qui avait été remise à La Condamine. Celui-ci, dénué de
tout scrupule, s'empressa d'envoyer en France ces notes « revues et corrigées de sa main ». Ainsi, la communication à l'Académie royale des Sciences en 1737 sur « L'étude du quinquina, de ses vertus, de la meilleure manière d'en extraire le suc »
ne parût pas sous le nom de Jussieu mais sous celui de la Condamine. La
plante a été décrite aussi par Linné qui va créer le genre Cinchona et le subdiviser en deux catégories : Cinchona officinalis, variété surtout utilisée pour les boissons, très aromatique mais pauvre en principes actifs et Cinchona succirubra
(le quinquina rouge) qui sera beaucoup plus largement exploité, surtout
après l’isolation de la quinine par Pelletier et Caventou.
L’atelier de fabrication des deux pharmaciens put traiter, en 1826,
138 tonnes d'écorce de quinquina et en extraire 1 800 kilos de sulfate
de quinine. Leur invention rendu publique, ils autorisèrent à quiconque
le voulait d'en tirer parti. Ce fut le cas de plusieurs entrepreneurs
allemands qui se lancèrent aussi dans l'extraction à grande échelle de
la quinine alors qu’aux États-Unis, le laboratoire Rosengarten and Sons,
établi à Philadelphie, commença à faire un usage commercial de la
méthode Pelletier-Caventou. La même année, les cloches des temples de la
vallée du Mississippi appelaient chaque soir à la consommation des
pilules à base de quinine du Dr John Sappington (Dr Sappington's Fever
Pill), ce qui fit la fortune de ce dernier.
À la même époque, le physiologiste François de Magendie, à qui
Pelletier avait envoyé de la quinine pour les tester sur l’animal et sur
l’homme notait, en 1829, dans son « Formulaire pour la préparation
et l'emploi de plusieurs médicaments » : « S'il est toujours du plus
haut intérêt pour le médecin de connaître précisément la dose de la
substance active contenue dans le médicament qu'il emploie, cet avantage
n'est jamais plus manifeste que par rapport au quinquina, dont
l'activité varie beaucoup suivant la nature et la qualité des écorce. On
est d'ailleurs souvent très heureux de pouvoir administrer ce
médicament sous un aussi petit volume et sous une forme qui n'a rien de
rebutant. »
Un autre savant français, Wedell, rapporta en 1837 des graines de
quinquina rouge en France au Muséum national d'histoire naturelle et les
fit germer. Le Muséum distribua par la suite des plants à diverses
institutions botaniques européennes. Mais la mise en culture du
quinquina était chose impossible, la plante étant faite pour pousser en
zones intertropicales humides et montagneuses, entre 1 000 et 3000
mètres. Les quinquinas mis en culture en dessous de ces altitudes sont
dépourvus de quinine. Ceci est en relation sans doute avec la nécessité
pour la synthèse par la plante de la quinine d'une forte exposition aux
rayons UV.
Les nations européennes entreprirent donc de faire pousser le
quinquina dans leurs colonies. Comme bien souvent ce furent les Anglais
qui tirèrent les premiers. Ils commençèrent donc à le cultiver en Inde,
vers 1850, dans la région de Darjeeling, dans une petite zone
himalayenne chaude et humide. Mais les surfaces cultivées étaient trop
réduites pour envisager d’exporter les écorces. Les Britanniques qui ne
manquaient ni de ressources, ni de territoires, introduisirent alors la
culture du quinquina rouge à Ceylan, cette fois-ci avec succès. Jusqu’en
1885, l'Angleterre va avoir le monopole de la culture et de
l'exportation du quinquina.
Mais, à cette date, la Hollande va supplanter l’Angleterre en
important d'Amérique du Sud, des graines de plusieurs espèces de
quinquina dans sa colonie de Java, et en réalisant de nombreuses
hybridations. On passera alors d'une culture de quinquinas du groupe «
succirubra » à des espèces du groupe « ledgeriana », les quinquinas
jaunes dont les écorces sont très riches en quinine (12% environ, au
lieu de 5% pour le groupe succirubra).
Après le début de cette mise en culture en Indonésie, les planteurs
de Ceylan vont être ruinés en trois ans et la culture du quinquina va
être remplacée par celle du thé. Quant à elle, la Hollande va régner sur
exploitation du quinquina jusqu'en 1939.
Parallèlement, à partir de Cinchona officinalis, pauvre en quinine mais riche aromatiquement, de nombreuses boissons amères vont voir le jour.
Dernière anecdote, pendant la Deuxième Guerre mondiale, alors que
l'île de Java était envahie par les Japonais, les nazis vont bombarder
les stocks de quinine entreposés à Amsterdam. Les troupes australiennes
et américaines combattant dans le Pacifique sud n' eurent plus dès lors
de produits pour se prémunir du paludisme.