L’Occident et la musique politique dans les élections présidentielles de 2018 en RDC

 

La turbulence politique postélectorale
actuelle n’est pas le fait de l’antagonisme entre les candidats Fayulu et
Tshisekedi qui se connaissent depuis longtemps, ont mené leurs luttes politiques
en collaboration, se sont soutenus à multiples occasions, ont été victimes de
l’autocratie kabiliste depuis des années, et même semble-t-il prient ensemble.
Le problème est ailleurs, et son instrumentalisation occidentale en a fait une
turbulence politique postélectorale en RDC. J’espère que cela ne relève pas de
la stratégie occidentale de balkanisation du pays.

Pour le peuple congolais, l’essence du
problème et la portée politique des élections de 2018 sont considérées comme le
couronnement de sa lutte depuis l’indépendance, pour se doter des leaders
qu’elle a choisis parce que porteurs de ses aspirations justes, légitimes et
profondes, en vue de construire un Congo démocratique, répondant à une autre
vision de l’être et du devenir de ce pays. L’objectif est le changement du
modèle colonial qui a continué malgré la proclamation de l’indépendance, à cause
non pas seulement du rôle néfaste de l’ex-métropole coloniale et de l’occident
dans son ensemble, mais surtout à cause de son leadership politique, sans vision
patriotique, sans engagement nationaliste, vassalisé comme gendarme local des
intérêts occidentaux contre ceux de son peuple.


Les élections étaient donc un moment
historique de lutte pour le changement, et de départ pour un nouveau projet de
société dans lequel le peuple se retrouve. Elles sont de ce fait vécues par le
peuple et ses forces patriotiques avec exaltation comme moment ultime de leur
victoire dans la lutte qui les oppose à la coalition leadership « vendu » et ses
maîtres occidentaux. Et dans cette guerre, toutes les armes sont utilisées par
l’Occident, y compris la théâtralisation ethnique du conflit pour mieux se
voiler derrière les rideaux.


La dynamique politique en RDC est,
au-delà du peuple qui doit être son principal acteur, accaparée par le jeu des
personnalités et surtout des partis politiques en premier lieu. Elle est aussi
influencée par l’action de certains acteurs non politiques, qu’ils soient
publics ou de la société civile dans ses divers segments. Elle est enfin
influencée et de manière substantielle si on déterminante, par des forces
politico-économiques extérieures au pays, qu’elles soient proches ou lointaines,
agissant directement ou indirectement.

 

 

Comprendre le jeu et le
tableau politiques de la RDC.


Dans son dernier livre collectif (Le
degré zéro de la dynamique politique en RDC 1960-2018)
dont je recommande
fortement la lecture aux Congolais en général et à ceux qui cherchent à
comprendre le jeu politique dans ce pays, l’ICREDES analyse différentes
caractéristiques et pesanteurs de la dynamique politique en RDC depuis 1960. Je
voudrais en souligner quatre pour les besoins de cet article.


L’incapacité de l’élite et en
particulier de l’élite politique, à construire un nouvel État
« capable »


Ce qui à deux reprises, a donné
l’occasion à l’ONU et aux puissances mondiales qui la régentent, d’intervention
politique et militaire sous forme « d’occupation et de gestion » du pays par
leurs forces, pendant près de vingt-deux ans durant les cinquante-huit ans
d’indépendance.. Ce faisant, ce sont ces puissances à travers leur instrument
international qu’est l‘ONU, et se reposant sur la complicité du leadership non
patriotique qu’elles ont fabriqué, qui ont gouverné indirectement la RDC, la
mettant au pas de leurs intérêts stratégiques sur l’échiquier mondial.


La théâtralisation du jeu et du système
politiques


L’arène politique congolaise est devenue
un cirque de quelques Tarzans directs et indirects, internes et commanditaires
externes. Elle n’est plus propriété et domaine du peuple congolais. Elle est
occupée par des acteurs comédiens dans une tragicomédie politique. Car ce que
vivent le Congo et le peuple congolais depuis l’indépendance du pays est une
véritable tragédie, dont les acteurs et faiseurs congolais de la dynamique
politique ne semblent pas être conscients, et encore moins porteurs de l’âme de
guérison.


Le règne du tarzanisme, de
l’opportunisme et de la médiocrité


La sphère politique est dominée par un
jeu de forces de ceux qui pèsent non pas par leur base sociale en l’absence
d’idéologies porteuses, mais par ceux qui crient fort pour finir par se faire
remarquer dans le paysage politique, par ceux qui savent jouer de la flatterie
et de l’opportunisme, et par ceux qui savent jouer des coudes physiques
(militaires ou militarisées à travers diverses formes de milices et de
rébellions réelles ou instrumentalisées), économiques et financières, et souvent
en faisant activer certaines relations extérieures.


Il en résulte un tableau de débauches et
de débauchés politiques, qu’ils soient débauchés de l’intérieur ou de
l’extérieur. Donc un tableau d’acteurs et de décideurs politiques non porteurs
des intérêts du peuple ni du devenir de la nation-Etat RDC pour construire son
avenir, mais qui au contraire, phagocytent ce dernier dans leur avantage
personnel. Le système politique présente ainsi le paysage d’une kyrielle de
portevoix, de griots et tambourinaires politiques et de troubadours de toute
sorte, au-devant de la scène politique congolaise. Ce qui laisse un large
terrain aux mécanismes de corruption et d’instrumentalisation politique, y
compris par les forces extérieures.


Un système politique distant du peuple
mais instrumentalisé de l’extérieur


La classe politique de la RDC est faite
d’acteurs qui reflètent les forces politiques et surtout économico-financières
externes. Ces dernières sont aux commandes de l’économie du pays ou de ses
secteurs clefs, et dans leurs stratégies, décident du devenir de la RDC, de son
rôle sur l’échiquier régional et mondial, et donc de sa gestion politique et ses
animateurs, quitte à les faire légitimer à travers un processus électoral même
bidon. Ceci est facilité par l’absence de forces internes suffisamment solides
et porteuses d’une vision différente, et notamment de forces porteuses d’une
conscience patriotique et des enjeux économiques et géostratégiques dont le pays
est l’objet au niveau régional, continental et mondial.


Ce qui fait que les acteurs politiques
sont des instruments de ces forces extérieures : États, grandes compagnies
œuvrant sous la couverture de leurs puissants pays, réseaux mondiaux mafieux
importants, etc. La classe politique congolaise, pouvoir et opposition
confondus, est tellement acquise à cette dimension de son jeu politique, qu’elle
a nourri en elle une forte croyance que le pouvoir se cherche et s’obtient de
l’extérieur, avec l’appui des puissances étrangères, l’histoire de la RDC ayant
montré que certains chefs ont été fabriqués de l’extérieur.


Le peuple n’est plus l’acteur de
l’histoire et le souverain primaire, sauf dans des incantations politiques
habituelles. La classe politique ne semble ni être consciente du grand fossé qui
s’élargit entre elle et le peuple congolais, ni se faire le souci d’être le
porte-flambeau des luttes du peuple pour le changement et la construction
aujourd’hui et demain, d’un Congo différent. Bien au contraire, la classe
politique s’en accommode et s’en nourrit, cherchant à participer avantageusement
aux dividendes de son instrumentalisation extérieure.

L    L’Occident dans la
dynamique politique de la RDC


Parmi les acteurs et même « faiseurs »
de la dynamique politique en RDC, il y a sans aucun doute les forces
extérieures, qui ont eu à « fabriquer » leurs acteurs et tout l’environnement
qui leur est favorable. L’absence de progrès politique, le fait de tourner
politiquement en rond, la vassalisation et l’affaiblissement du leadership aux
commandes du pays dans le sens de leurs intérêts et de leur vision stratégique
du devenir de ce pays, est un jeu qui leur est très bénéfique, et elles se sont
mises à renforcer ou du moins maintenir cet ordre de choses, donnant au pays une
dynamique de « chaos contrôlé » dont ils tirent de gros avantages.


La dynamique politique et le manque de
progrès politique en RDC sont donc très marqués par le jeu des forces
extérieures depuis l’assassinat de P. Lumumba, vu la faiblesse complice ou
réelle des forces intérieures, très instrumentalisées, moyennant la distribution
de quelques dividendes du système mis en place. 


Parmi ces forces extérieures on peut
distinguer deux niveaux d’action dans le façonnement direct et indirect de la
dynamique politique au Congo : le niveau individuel d’action de puissance dont
les acteurs sont d’une part les puissances ou pays extérieurs, et de l’autre,
les réseaux économico-financiers généralement soutenus par leurs pays
respectifs. Au niveau collectif, ces puissances agissent par le biais des
institutions et organisations internationales qu’elles dominent, et auxquelles
elles dictent l’orientation de leurs actions en RDC : l’ONU et les institutions
financières internationales notamment. Je vais me limiter ici aux puissances
extérieures.


Il est important de rappeler que
l’esprit de la Conférence de Berlin (1885) a marqué à sa manière, la dynamique
politique de la RDC au cours de ses cinquante-huit ans d’existence. La
reconnaissance soi-disant internationale du pays comme propriété privée du Roi
des Belges, transmise plus tard comme legs colonial à son pays (la Belgique),
était assortie de quelques conditions dont celle de faire de l’espace de l’État
indépendant du Congo (EIC) une zone ouverte à la navigation et au commerce
international, en particulier pour les puissances participantes dont la Grande
Bretagne, la France, l’Allemagne, et les États-Unis.


Après l’indépendance du pays, ces
puissances se sont mises à mettre cette disposition en œuvre à des degrés
variés. La connaissance de plus en plus grande de l’immensité des richesses
naturelles du sol (terres arables, eaux douces, forêts, faune et flore…) et du
sous-sol (pétrole, minéraux ferreux et non ferreux, métaux et terres rares…),
très convoitées par ces puissances pour les besoins de leurs économies et de
leurs stratégies économique, politique et militaire, a renforcé leur rapacité
de « vautour » pour se ruer sur les richesses de la RDC et en contrôler
politiquement la gestion. Par ailleurs cela s’est conjugué au départ avec le
contexte de la guerre froide, et a conduit chacune d’elles à développer ses
instruments d’attelage du Congo dans sa stratégie de puissance sur leurs
échiquiers continentaux respectifs, et bien sûr aussi sur l’échiquier mondial.
L’intérêt pour le Congo était et reste renforcé aussi par sa position
géostratégique au centre du continent africain, reliant le nord et le sud, mais
aussi l’est et l’ouest de l’Afrique, et en plus aux confins des zones
d’influence de la France (nord et Ouest) et de la Grande Bretagne (est et sud).


Ces pays agissent généralement seuls,
cherchant à asseoir leurs pions politiques, économico-financiers et militaires
dans le cadre de leurs stratégies individuelles de puissance sur l’échiquier
mondial, entraînant les petits pays dans leurs sillons respectifs, et finalement
dans celui du monde occidental et du Japon. Il en résulte un jeu de compétition
entre segments nationaux du capitalisme mondial ou de la mondialisation sur le
terrain politique et économique de la RDC.


C’est dans cet ordre de choses que la
dynamique de compétitivité entre puissances a permis aux pays émergents et en
particulier aux BRICS de se frayer aussi leur chemin vers le partage et
l’exploitation chaotique des ressources naturelles du pays. La percée des pays
asiatiques de ce groupe les a particulièrement bien positionnée, et en
particulier la Chine. 

Une dynamique politique marquée par une
situation d’un pays de non-État ou de faible État, de chaos contrôlé,
d’impuissance et de mal-gouvernance, de vassalisation complice du leadership
moyennant la fermeture des yeux sur les excès de l’exercice interne du pouvoir
et sur l’absence de démocratie et de l’état de droit, tout cela est une
situation qui leur est très bénéfique. Ces puissances la font, la maintiennent,
et même la renforcent par leur rétribution de ce leadership gendarme de leurs
intérêts, et ce, en dividendes politiques, économiques et financiers du système.
Cela justifie le jeu criminel de ces puissances extérieures dans la dynamique
politique du Congo. Comme le pays a eu à en faire l’expérience, les forces
extérieures sont allées jusqu’à régenter la définition des règles du jeu
politique et de mode de désignation des animateurs des institutions politiques
du pays, y compris la loi fondamentale qui définit la nature et le contenu du
contrat social de base au Congo.

À qui confier la
gouvernance formelle du Congo après le départ de Kabila ?


Le souci d’éjecter Kabila n’implique pas
forcément celui d’éjecter le régime. C’est pourquoi la question qui se pose dans
le chef de l’Occident est plutôt celle de savoir par qui le remplacer ? Dans mes
pérégrinations internationales, j’ai souvent entendu cette question de la bouche
des interlocuteurs occidentaux, et parfois des personnalités qui au nom de leurs
pays ou des Nations Unies, avaient occupé des fonctions importantes en RDC. Ils
me demandaient toujours (et pas seulement à moi) le nom de quelqu’un que je
pense pouvait remplacer Kabila. Ce qui les intéressait en fait c’est le nom de
celui qui pouvait le remplacer pour leur garantir et continuer à leur offrir ce
que Kabila leur offrait.


C’est dans ce cadre que l’occident s’est
mis dans la préparation du terrain. Une série de réunions guidées en coulisse
par les forces occidentales, et surtout financées par elles comprenant notamment
la réunion de Genval en Belgique, celle de Dakar (île de Gorée) au Sénégal, la
mise à contribution de certains leaders politiques africains à travers des
rencontres organisées et financées par les forces de l’Occident, la réunion à
Bruxelles des forces de l’opposition officiellement invitées par Bemba Jean
Pierre, celle de Johannesburg en Afrique du Sud sur demande de Katumbi sous les
auspices de l’ANC alors que cette dernière ne l’avait pas convoquée, la réunion
de certains pays voisins avec la France à Paris, et enfin celle de Genève sous
les auspices de la fameuse Fondation Koffi Annan et la médiation de mon vieil
ami Alan Doss.


C’est la conclusion inattendue de la
réunion de Genève qui montre à suffisance ce que l’Occident cherchait en
réalité : la désignation d’un leader politique appuyé par toutes les forces
d’opposition ou qui se disent telles, mais d’un leader commun qui réponde à
certaines conditions capitales pour les forces de l’Occident, quitte à faire
tomber les règles importantes du jeu de cette désignation. Et l’Occident savait
jouer sur certaines cordes sensibles pour ses robots politiques en RDC, y
compris la corde ethnique. C’était là le premier « péché » visible des forces
occidentales et des leaders vassalisés dans leur giron : escroquerie et
trahison.  


Il leur fallait un leader non
nationaliste, sans base populaire de masse qui risque de leur être opposée, un
leader qui leur soit redevable, donc fabriqué dans leur cuisine et leur série de
machinations, et dont Genève devait accoucher à une dizaine de jours du début de
la campagne électorale. Le problème de moyens ne se posait pas car les forces
occidentales n’allaient pas lésiner dessus. Mais dans le paysage politique de
l’opposition congolaise, les forces occidentales avaient déjà leurs « amis et
partenaires » : Moise Soriano Katumbi, avec qui elles avaient fait des affaires
très juteuses quand il était gouverneur du Katanga et qui s’est enrichi dans ces
affaires et contrats douteux. Il y avait J-P. Bemba que les forces occidentales
avaient aidé à sortir de la prison de la CPI grâce à la voix du juge belge. Il y
avait aussi le l’opposant M. Fayulu, ancien cadre d’une multinationale
pétrolière étasunienne, qu’accompagnaient des leaders comme A. Muzito qui avait
déjà eu à  faire des affaires avec l’Occident comme premier ministre de la
kabilie, et Matungulu, un ancien du FMI. Ce qui faisait déjà un trio d’une même
composante provinciale. Les règles établies pour la désignation consensuelle du
candidat commun risquant de privilégier le leader de l’UDPS, il fallait les
torpiller ou les ignorer pour éviter d’élire ce candidat-là, même si l’intention
était de lui confier M. Fayulu comme premier ministre.


Il faut remonter à l’histoire des
relations de l’UDPS avec l’Occident pour comprendre le rejet de son candidat
dans la machination de Genève. Ce parti politique était historiquement opposé à
Mobutu qui était le chouchou des occidentaux, et leur gendarme sous-régional en
Afrique Centrale. Il avait une base populaire qu’il a su garder et gérer malgré
des débauchages politiques. Il a même élargi sa base sociale. Depuis
l’élimination des mouvements nationalistes en 1960, il est le seul qui se soit
affirmé dans la mouvance nationaliste bien que sans force idéologique et ferveur
d’engagement patriotique comme le mouvement lumumbiste dans son temps. Il faut
souligner ici que le PALU comme on le sait, n’a rien de lumumbiste. Mais
l’engagement pour la démocratie (qui privilégie les intérêts du peuple), pour
l’État de droit et pour le progrès économique et social, sont des principes base
du credo politique et d’engagement qui ont toujours guidé l’action politique de
l’UDPS.

Ce qui fait que depuis l’indépendance du
pays, la lutte du peuple qui n’avait plus trouvé de porte flambeau depuis son
écrasement avec les forces lumumbistes au cours de la période 1960-1965,
semblait être portée plutôt par l’UDPS. Le peuple s’y retrouvait et y adhérait.
L’adhésion massive en a fait un parti de masse, celui qui a su et avec courage
s’opposer au mobutisme triomphant, et au kabilisme triomphant et décadent. Le
parti acquis de ce fait une stature politique qui lui donne des forces pour se
tenir debout devant les forces occidentales, en dépit de ses faiblesses
internes. Et cela l’Occident n’en voulait et n’en veut toujours pas.


Donc il fallait à Genève, ignorer les
règles du jeu. C’est pourquoi les leaders vassalisés ne pouvaient que se
coaliser sous les auspices de Katumbi Soriano et Bemba Gombo pour laisser tomber
les règles du jeu convenues.. C’est dans ces conditions que la montagne de
l’opposition politique congolaise accoucha, assistée par l’accoucheur
occidental, d’une souris. Et Martin Fayulu fut mis au-devant de la scène. Et
comme la stratégie était d’embrigader l’UDPS dans un accord pipé quitte à en
oublier tout ce qui pouvait l’avantager, le retrait de la signature du leader de
l’UDPS fut amèrement ressenti, car cela signifiait le retrait important des
masses populaires derrière lui. Ce qui ne fût pas le cas pour le retrait de la
signature du leader de l’UNC, du moins pas au même niveau. Le leader de l’UDPS
fut diabolisé avec des extravagances de langage au-delà de la correction
politique. Les élites politiques ou non et les masses furent utilisées et même
instrumentalisées à cet effet.

Mais ce fut vain comme l’a montré la
chaleur et l’immensité de l’accueil populaire du tandem Cash à Kinshasa. Je suis
arrivé à Kinshasa ce 27 novembre 2018 à 16 h 45, et j’ai dû rester à l’aéroport
de Ndjili pendant deux heures et demi. Ensuite le trajet a pris du temps, et je
n’ai pu atteindre ma maison que vers 20 h 30, à cause de la perturbation de la
circulation due à la marée humaine qui était venue accueillir le tandem ce
jour-là.


Quelle stratégie mettre
en place pour arriver à cet objectif ultime 
?


Le candidat de Lamuka fut ainsi désigné
non pas pour briguer le poste de président de la république, mais plutôt pour
mobiliser les masser et réclamer l’annulation des élections, notamment pour
raison d’utilisation de la machine à voter, car le vrai candidat de l’Occident
demeurait Moise Soriano Katumbi. Le candidat de Lamuka fut désigné ensuite pour
préparer le retour de Moise Soriano Katumbi sur la scène politique comme
président élu. Et c’est pour cela que contre les dispositions
constitutionnelles, l’accord de Genève entre sept personnes lui donnait un
mandat de deux ans pour mettre en place des mécanismes et dispositifs
nécessaires à cet effet. Dans son essence, Lamuka n’était donc pas une
plateforme électorale, mais une plateforme anti élections de 2018, du moins par
la machine à voter. C’est pourquoi durant toute la grande partie de la campagne
présidentielle (Est et Sud du pays), Lamuka mobilisait les populations pour
refuser la machine et ne voter qu’avec les fiches manuelles qui n’existaient
pas. Mais devant l’ampleur des marées humaines que drainait le tandem du Cach,
devant l’ampleur des manifestations populaires tenant à participer aux
élections, et enfin face à l’ambigüité démobilisatrice de son discours, Lamuka
décida de changer le discours à une semaine de la fin de la campagne quand son
candidat entamait de visiter l’ouest du pays. Il faut reconnaitre que c’était
tard.  


Par ailleurs, Lamuka qui ne voulait pas
aller aux élections, ne s’y était donc pas préparé. Il n’avait pas eu le temps
de recruter des témoins et des observateurs, de les former, de les envoyer sur
le terrain, et de suivre leur travail. C’est logique car on ne met pas en place
une machine lourde et une armée d’observateurs et de témoins d’un scrutin qu’on
rejette. Il lui est donc difficile d’avoir des preuves de quoi que ce soit de
tangible, sauf à travers un partenariat avec une autre institution ou
organisation.


Mais l’Occident avait cherché à palier à
ce déficit capital. Il avait compté sur l’aide financière et l’envoi des
observateurs pour avoir une fenêtre sinon une porte d’entrée dans le processus
électoral organisé par la kabilie. Malheureusement le régime de Kabila qui avait
ses calculs pour organiser une fraude électorale en vue de donner
« démocratiquement » une victoire et un troisième mandat à Kabila, hors du
regard des forces occidentales amies devenues ennemies, avait refusé toute aide
financière, et en plus le régime ne voulait pas du tout des observateurs
étrangers non africains, donc occidentaux..  


L’Occident trouva tout de même une porte
d’entrée à travers son appui à la CENCO. Cette dernière est une force qui jouit
d’une notoriété et d’une autorité morale indiscutables comme leader d’opinion
dans la société civile congolaise. Il accorda ainsi un financement important et
multiforme à la CENCO, pour l’observation des élections. L’objectif restait le
même : veiller à ce que si elles doivent avoir lieu, les élections se passent
conformément aux buts visés par l’Occident pour doter la RDC d’un nouveau
leadership, mais acquis aux intérêts de l’Occident, et non qui les opposerait à
ceux du peuple congolais. Ceci peut ne pas être dit de manière explicite, mais
la CENCO qui reconnait avoir reçu le financement de l’Occident, sait qu’elle
avait à rendre compte à son financier.


La preuve supplémentaire de la mission
confiée discrètement à la CENCO par l’Occident à travers son  financement est
donnée notamment par la déclaration de Olivier Kamitatu, porte-parole de Moise
Soriano Katumbi et membre du directoire de la campagne électorale du candidat de
Lamuka. Il a affirmé dans un débat télévisé sur une chaîne belge avec les
représentants du FCC et de l’UDPS, qu’ils avaient des données chiffrées des
résultats des élections qui étaient en leur faveur, et ce, parce qu’ils avaient
envoyé quarante mille téléphones cellulaires intelligents et quelques milliers
de téléphones mobiles satellitaires. Le chiffre de téléphones envoyés par
l’Occident par le biais de Lamuka correspond curieusement au nombre
d’observateurs équipés de téléphones par la CENCO. Étant donné que la coalition
Lamuka n’avait pas envoyé des observateurs électoraux, à qui est-ce que ces
quarante mille téléphones ont été envoyés ? Laissons de côté les questions y
relatives : par quelle porte sont-ils entrés en RDC, comment ont-ils été
acheminés aux utilisateurs, etc. Il est évident à mon avis que ces téléphones
étaient destinés au réseau d’observateurs électoraux de la CENCO. Son équipement
technique fait donc partie du dispositif occidental dans le contrôle du
processus électoral en RDC en vue d’en influencer les résultats dans son
intérêt.


Le troisième instrument de l’Occident
fut ce que  Moise Soriano Katumbi a appelé « la campagne à l’américaine ». Cette
dernière est caractérisée non pas par la hauteur du débat d’idées et de
programmes politiques, mais princiaplement par le matraquage médiatique.
L’occupation des médias internationaux, belges, français, et américains en
particulier, la mainmise sur les réseaux sociaux, l’utilisation à outrance des
maisons de presse nationales appartenant aux différentes composantes de Lamuka,
la production des articles orientés vers la cause du candidat de Lamuka (qui
pourtant ne voulait pas aller aux élections), et donc de l’Occident, le montage
des images, la fabrication des sondages commandités, l’annonce des résultats
durant le temps de dépouillement et de compilation bien trop tôt, un véritable
showbiz politique intensément et bruyamment véhiculé étaient activement inscrits
au menu de la campagne de l’alliance Occident-Lamuka. La presse belge en
particulier s’est  montrée très virulente à l’égard de l’UDPS, et quasiment dans
la poche de Lamuka. Lamuka serait allé jusqu’à acheter une place dans le New
York Times à New York pour diffuser un article le présentant comme vainqueur des
élections. Il fallait faire feu de tout bois et surtout faire croire à l’opinion
nationale et internationale ce que l’Occident voulait en RDC et en particulier
dans la fabrication de son nouveau leadership de l’après Kabila, comme le
résultat des élections, et vérité des urnes. Il fallait minimiser ou mettre dans
l’ombre toute autre image ou discours qui montrerait le contraire. L’Occident en
a les moyens. Il a même bien joué sa carte et avec ses gros sabots, y compris en
égarant les élites politiques et le peuple sur des fausses pistes dans la lutte
pour le changement. Car pour lui il ne doit pas s’agir de la lutte pour le
changement (du système), mais de la lutte pour écarter ceux qui luttent pour un
tel changement. Mungul Diaka avait trouvé une belle formule pour exprimer une
telle situation : changement de chauffeur mais le véhicule reste le même et dans
le même état.

L    Les erreurs de
calcul occidentaux
 


La coalition Occident-Lamuka s’est
battue comme les deux autres (FCC et Cach) pour gagner les élections
présidentielles. Les résultats officiels publiés par la CENI annoncent plutôt la
victoire du candidat du Cach. Lamuka a donc essuyé un échec, et l’Occident le
savait. Le Groupe de recherche sur le Congo basé à l’Université de New York
vient de publier une analyse des documents fuites organisées par la CENCO et un
agent de la CENI. Les deux documents indiquent que le candidat de Lamuka est
celui qui a effectivement gagné les élections. Il est difficile de trancher vu
les antécédents ci-dessus analysés. Les chiffres eux-m
êmes sont plus que douteux, avec des
écarts grossièrement montés. Le mode d’organisation de la fuite desdits
documents n’est pas indiqué. Tout le monde sait comment ce groupe est financé
par certaines forces occidentales.  


À  mon analyse, cette prétendue fuite
relève de la même stratégie que l’article de New York Times, de celui du journal
belge la Libre sur le faux diplôme, indiquant des soubresauts de désespoir d’un
combat d’arrière-garde. Pour le moment, la coalition Lamuka sponsorisée par
l’Occident est déclarée perdante. Son échec est d’abord l’échec de sa coalition
avec l’Occident, et ensuite de ses instruments institutionnels locaux. Sentant
cet échec venir, la coalition Occident-Lamuka a déployé d’autres efforts. Son
échec est analysé dans le contexte des erreurs de calcul que les forces
occidentales ont commises dans le parcours électoral.


Parmi les erreurs de calcul, je
mentionnerais principalement les suivantes :


La coalition Occident-Lamuka a cherché à
noyer ou ignorer la nature et l’essence de la lutte du peuple congolais pour les
élections. Pour ce dernier en effet, il ne s’agit pas de remplacer une clique
prooccidentale (la kabilie) par une autre de même fabrication (Lamuka), mais au
contraire, de pouvoir enfin se doter d’un leadership nationaliste (Lumumba,
Tshisekedi…) ou du moins porteur de ses intérêts nationaux.


Le recours à la pratique
françafricaniste de fabrication extérieure et de robotisation du leadership au
Congo pour mieux exploiter les ressources du pays, sous la protection d‘un
régime politique vassalisé, corrompu et surtout gendarme de leurs intérêts.
Cette pratique n’est plus acceptée en Afrique, et la RDC que l’on croyait
quasiment dans la main de l’Occident a donné l’exemple de ce rejet. L’Occident
ne l’avait pas vu venir.


La création des conditions objectives de
rapprochement des rejetés des forces occidentales. En effet, la kabilie rejetée
par l’Occident pour des raisons qui lui sont propres, et l’UDPS qui dirige la
coalition Cach rejetée par l’Occident pour des raisons tout-à-fait différentes
(intransigence politique, non produit de l’Occident, base sociale large et
autonome), se sont trouvées dans des conditions objectives de rapprochement
comme les excommuniés du système occidental d’exploitation des ressources du
Congo. Ce qui était un service rendu à la kabilie. La coalition Cach étant la
branche de l’opposition qui a une large base populaire, et qui semblait monter
en annonces provisoires de votes, donnait à la kabilie l’occasion de reconnaître
sa défaite ou celle de son candidat (E. Ramazani), et la victoire du candidat de
Cach même sans besoin de négociations éventuelles. Kabila sait que l’Occident
veut sa peau, et que ce n’est pas un pouvoir Occident-Lamuka qui le laissera en
paix et sécurité. L’Occident ou sa coalition n’avait pas vu cela non plus.


La multiplication des aboiements
finalement contreproductifs : la précipitation française pour une tentative
d’utilisation des instances de l’ONU pour légitimer la position occidentale
(réunion du Conseil de Sécurité), les déclarations pro-Lamuka des gouvernements
occidentaux (belge et français en particulier), le recours bruyant à une base
d’information (CENCO) de sous-main, tout cela commençait à agacer une partie de
l’opinion africaine et internationale. L’Afrique du Sud de Cyril Ramaphosa
(vieux combattant depuis de longues années à la tête de la Cosatu) qui n’est
plus celle de Zuma est allée jusqu’à traiter la CENCO d’ONG qui ne peut être
source d’information pour fonder une décision du Conseil, et ce avec l’appui de
la Chine et de la Russie.


Un Occident désemparé devant ce qui
s’annonce comme son échec, et qui risque de bénéficier à ses adversaires et
autres compétiteurs comme la Chine et la Russie qui se frottent secrètement les
mains, mais aussi à certains pays émergents, ainsi servis par les erreurs
stratégiques de l’Occident. Fort de leur appui au peuple de la RDC en cette
période critique de lutte contre une tentative néocoloniale de l’Occident, ces
concurrents qui sont déjà sur terrain d’ailleurs, peuvent utiliser leur position
actuelle y compris dans les instances de l’ONU, pour se rapprocher du  nouveau
pouvoir qui arrive. Ce qui va non pas exclure, mais amorcer la marginalisation
des forces occidentales sur l’échiquier politique et économique congolais.
Finalement il s’agit de l’échec de la tentative de françafricanisation de la RDC
sur le modèle ivoirien après les élections. L’Occident  n’avait pas vu venir cet
effet non voulu dans sa stratégie de fabrication extérieure de leadership
africain.


Le malaise dans le combat
d’arrière-garde et les aboiements devant l’échec des forces occidentales du mal
et la détermination du peuple congolais, quand on sait qu’on sera contraint
d’aller frapper à la porte du nouveau pouvoir mené par une force politique qu’on
avait combattue, se condamnant à se trouver dans ses petites chaussures et non
dans ses gros sabots habituels avec pourvoir d’injonction. Devant la menace de
perdre l’espace au profit de la Chine, de la Russie et d’autres compétiteurs,
l’Occident devra rentrer avec un langage de quasi-mendiant à la porte du nouveau
leadership pour garantir les avantages acquis ou du moins pour ne pas les
perdre, bénéficier de nouveaux ou de la révision des contrats, etc., enrobé dans
le discours d’offre d’aide au développement. Cette perspective de sentiment
d’humiliation est mal ressentie par l’Occident et il ne l’avait pas entrevue.


Le doute sinon le discrédit jeté sur son
instrument la CENCO qui y laissera quelques plumes. En effet, bien financée par
l’Occident, la CENCO qui était le premier à provoquer la turbulence
postélectorale par son annonce trois jours après le scrutin, et sur base d’un
faible pourcentage des bureaux de vote, la conclusion des résultats reçus à
travers son réseau de téléphones mobiles, n’a pas pu fournir les PV signés qui
confirment ses chiffres des résultats qui lui faisaient dire qu’elle connaissait
le vainqueur et gagnant des élections  présidentielles. Et comme pour montrer ce
qui la préoccupait le plus conformément à la mission que lui avait confiée son
bailleur de fonds, elle est restée quasi muette sur les résultats des
législatives et des provinciales. Elle n’a plus annoncé qu’elle avait les noms
des élus de ces deux niveaux. Par ailleurs et qu’on le veuille ou non, elle est
en partie à la base des tueries sur fond ethnique ou tribale, et de la chasse
aux Lubas dans le Bandundu entre autres. En tant qu’institution, sa crédibilité
politique et morale devant le peuple congolais en est
affectée.

 

Conclusion : C’est quoi
le futur ?


Le problème instrumentalisé ou
théâtralisé notamment à travers le recours au tribalisme n’est donc pas entre
Martin Fayulu et Félix Tshisekedi (j’ai une relation personnelle d’estime avec
chacun d’eux), mais entre le peuple congolais qui lutte pour se doter des
leaders politiques d’obédience nationaliste ou du moins nationale, et la
coalition Occident-leaders politiques vassalisés par ce dernier. Il se fait que
Lamuka en tant que coalition interne, a montré qu’il était de cette coalition
externe. Il faut maintenant regarder vers l’avenir, car même si l’Occident a
perdu une bataille contre le peuple congolais, il y a des défis anciens et
émergents qu’il faut analyser et relever, de nouveaux pièges de l’Occident et
ses porte-intérêts (actuels et nouveaux), et organiser le peuple en conséquence.

Dans cette perspective, le rôle des deux
leaders candidats est crucial. Avec humilité et sens patriotique, je les invite
à se faire violence individuelle et de groupe, à se dépasser et dépasser les
appels des egos personnels, et à mettre la RDC et son devenir au centre de leur
action politique conjuguée. C’est ce que le peuple congolais attend impatiemment
d’eux. Je les invite à ne pas porter la responsabilité historique du déchirement
social, fertilisant ainsi le terrain du projet extérieur de balkanisation du
pays. En se ralliant autour des aspirations du peuple, même si on diverge sur
les voies de réponse à ces aspirations, on construira le Congo de demain
ensemble, dans le rassemblement des forces démocratiques pour un Congo qui
rayonnera an centre du continent africain, et dont les Congolais d’abord et les
Africains ensuite vont se sentir fiers.

Laissez un commentaire

Vous devez être connectés afin de publier un commentaire.