Congo Durable – Les masques pris pour des fétiches en RDC

Les masques seraient couverts d’esprits mystiques, quels qu’ils soient. Cette considération de l’ordre d’idées reçues, ou plutôt vestige de l’évangélisation de la RDC, nuit aux arts. Victime d’un christianisme protestant puriste adressé sans nuance aux pauvres et personnes non instruites, la sculpture ne peut ainsi avoir de clients parmi de nombreux Congolais. 

Danse des masques

Les masques parlent sans voix, ils sont porteurs de sens. Les Congolais le savent bien, qu’ils soient citadins nés ou venus des villages ! En religion ou chez les féticheurs, les masques jouent sur cette capacité communicationnelle. Dans les musées, ils sont représentatifs d’une certaine époque, d’histoire. Portés dans nos maisons ou dans les lieux de prière, ils acquièrent une dimension bien plus mystérieuse, associés à des puissances spirituelles. Alors ils peuvent effrayer, rassurer…

Des référents culturels qui effraient

Certains masques ne peuvent alors être ni approchés, ni touchés que par les seuls initiés. Et c’est là la peur. Et c’est l’image qui circule de ces œuvres d’art qui en réalité, ne sont que morceaux de bois auxquels les sculpteurs ont donné de la forme, appuyés sur leurs subjectivité et sensibilité, essayant de les extérioriser, les communiquer.

Chez les peuples Tshokwe du Katanga, comme chez les Pende,  par exemple, les masques sont rituels. Lors des  événements particulièrement importants, ces communautés invitent les objets dans un rituel approprié, une danse par exemple. C’est le cas à l’intronisation d’un chef, au cours des cérémonies funèbres, lors de l’initiation des jeunes à la vie d’adulte, etc. Le sociologue Xavier Nkumisongo, professeur à l’Université de Lubumbashi, fait observer que ‹‹ les masques rituels sont comme des médecins guérisseurs ou fétiches ››, chez les Pende et les Tshokwe. Ces rituels confèrent aux masques des conceptions que les évangélisés perçoivent en premier, au premier contact.

Lubumbashi, culture
Un village au bord d’une rivière peint par Pius Muana, exposition au salon culturel de 2016. Photo Didier Makal.

Les Tshokwe et les Pende sont convaincus que les masques sont opérateurs de miracle et cela est vécu dans plusieurs croyances. Ils sont connus comme pouvant apporter des solutions adéquates aux problèmes qui rongent le peuple, rien qu’en ramenant un dans sa maison, par exemple. ‹‹ Ils permettent de lever les mauvais sorts, guérir le peuple contre des épidémies dans le village ››, ajoute le sociologue.

Les masques portent l’âme des peuples

Les masques sont historiques et sont diversement utilisés ou interprétés selon les peuples. Ils sont, parfois, conçus dans le but rituel. D’autres le sont dans un but bien précis : religieux, fétichiste, funèbres. La modernité, née avec l’évangélisation de l’Afrique qui les a associés sans nuance aux fétiches et à l’idolâtrie, menace toutes ces œuvres. On en arrive à une équation presque trop facile : masque égale idolâtrie ou fétichisme. Alors ils sont à détruire, à brûler, à fuir.

Pourtant, beaux, porteurs de joie, comme le masque d’initiation des jeunes à la vie adulte, les masques sont des objets ordinaires. On les trouve, dans les sociétés traditionnelles, parmi les religieux (catholiques, par exemple). Malemba Nsaki est Anthropologue et professeur à l’Université de Lubumbashi. Il fait remarquer que ‹‹ les masques sont des  faits culturels, importants pour les peuples qui en font usage, alors que d’autres les utilisent comme emprunt. Chez les Tshokwe ou les Pende, les masques sont l’âme des peuples ››. Dès lors, d’après lui, conserver les masques c’est conserver une partie de soi, ses racines, ses origines. C’est l’autre usage des masques, très régulier chez les africains de la diaspora. En les affichant dans leurs salons ou leurs bureaux, ils affirment une identité, africaine, congolaise, tribale, etc. et croient ne pas pouvoir le perdre.

Monument de la paix, Lubumbashi
Monument de la paix au centre-ville de Lubumbashi. Photo Didier Makal

Protéger l’art et des valeurs culturelles

Le sociologue Nkumisongo pense que ‹‹ c’est un relâchement coupable ›› que de voir présenter des valeurs culturelles comme rétrogrades. Il s’inquiète que les dirigeants, eux non plus, ‹‹ ne croient plus aux considérations des peuples, créant des contradictions entre ce que vise le peuple et ce que veulent les gouvernants avec leurs orientations euro-occidentales ››, plus que africaines. En tout, il manque un travail d’éducation des peuples pour s’accepter.

Place de l'identité Katangaise
Place de l’identitéé Katangaise, au Carrefour, à Lubumbashi. Photo Auguy Kasongo, 2015.

Mais il sera peut-être question, en même temps, question d’éduquer les prédicateurs pour arriver à distinguer masques œuvres d’art, et masques potentiellement fétichistes. Car au-delà de la guerre déclarée contre ces œuvres, il y a une économie que l’on tue, et des professions que l’on enterre en RDC et en Afrique.

Arsène Bikina

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