Tshisekedi à Bruxelles: de bonnes intentions, mais rien contre la corruption (La Libre Afrique)

BRUXELLES – C’est ce lundi après-midi qu’arrive à Bruxelles, en visite officielle, le président congolais Félix Tshisekedi. Projeté à la tête de l’État en janvier dernier par un accord secret entre lui et le président sortant Joseph Kabila, au détriment du vainqueur de l’élection Martin Fayulu, Félix Tshisekedi a été accepté par les Congolais et donc par la communauté internationale, dont la Belgique: l’un et l’autre ont voulu voir en lui l’alternance politique à laquelle aspiraient les Congolais, fatigués par 18 ans de pouvoir kabiliste.

Depuis cinq mois, nombre de Congolais ont déchanté, essentiellement lorsqu’il est apparu que les Assemblées nationale et provinciales revenaient aux kabilistes – pourtant honnis – après des élections aux résultats précis non publiés ou largement frauduleuses. En contrepartie de l’investiture de Félix Tshisekedi, les kabilistes restent donc largement aux commandes, y compris dans le gouvernement qui vient d’être constitué.

Durant les cinq mois nécessaires pour le mettre sur pied – un délai que M. Tshisekedi a largement contribué à allonger en refusant tel ou tel faucon kabiliste ou en grappillant plus de maroquins que ce que ces derniers voulaient lui laisser – le chef de l’État a tenté d’imprimer sa marque en gouvernant à la place du gouvernement sortant.

Il a ainsi fait libérer les prisonniers politiques et d’opinion et permis le retour des ténors de l’opposition contraints à l’exil ; lancé des travaux à impact économique et social rapide (aménagements de tronçons routiers, ponts et passages protégés, essentiellement dans la capitale) ; octroyé la gratuité des soins aux militaires et à leur famille et réhabilité le réseau d’adduction d’eau au camp Tshatshi. Il rencontre la population et a chapeauté la sécurisation de la ville de Lubumbashi, accablée par le banditisme jusque-là.

La liberté rétrécit, la corruption fleurit

Cependant, s’il a d’abord autorisé les manifestations politiques, le nouveau chef de l’État a rapidement refermé l’espace politique (répression de manifestations pacifiques ; impunité des militants de son parti UDPS ayant attaqué d’autres partis à plusieurs reprises ; limitation de la liberté de circuler de ténors de l’opposition).

Mais surtout, s’il parle beaucoup de réprimer la corruption, le président Tshisekedi ne fait rien contre celle qui s’exerce sous son nez : en monopolisant – à grand coût financier – la gouvernance jusqu’ici, la Présidence a passé des marchés publics dans l’illégalité, délaissant les appels d’offres exigés par la loi au profit d’accords de gré à gré, dont les bénéficiaires, qui plus est, se sont révélés plusieurs fois être des sociétés tout juste mises sur pied, permettant de soupçonner du “copinage”.

Scandales et impunité

Le chef d’État n’a, de plus, toujours pas réagi alors qu’un scandale a éclaté depuis juillet au sujet de la disparition de 15 millions de dollars, qui auraient dû être versés au Trésor public, scandale impliquant son directeur de cabinet, Vital Kamerhe – qui est aussi son allié politique. Ce dernier a, en outre, demandé l’arrêt d’une enquête de l’Inspection générale des Finances sur la gestion de l’État depuis l’investiture de Félix Tshisekedi.

Ces deux affaires provoquent une forte indignation au Congo et dans la diaspora – dont une partie des membres veut profiter du passage du nouveau Président à Bruxelles pour le clouer au pilori. Le chef d’État arrive à Bruxelles avec l’intention de convaincre les milieux d’affaires d’investir au Congo. La poursuite de l’impunité dont bénéficie la corruption sera un indicateur pour l’avenir.

On s’interroge aussi sur la manière dont M. Tshisekedi cohabitera avec un gouvernement à majorité kabiliste. Début août, il a signé plusieurs ordonnances créant à la Présidence des structures de “coordination” pour divers portefeuilles, dont on craint qu’elles rivalisent avec les ministères. Et qui n’auront pas de comptes à rendre au Parlement.

© La Libre Afrique – Marie-France Cros, 16.09.19

Image – source : Digital Congo

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