Probable rapprochement avec Joseph Kabila : Moïse Katumbi tranche, « Je ne suis pas preneur » (Le Potentiel)
KINSHASA – La presse locale et internationale s’est emballée à l’annonce d’un possible rapprochement entre Joseph Kabila, autorité morale du FCC, et Moïse Katumbi, président d’Ensemble pour le changement. La rencontre, dimanche dernier au Pullman Grand Hôtel Kinshasa, des bonzes de l’espace Gand Katanga, a ravivé la polémique. Dans le camp de Kabila, un groupe restreint travaillerait déjà sur le projet. Joint par notre Rédaction, un proche du principal leader de l’opposition s’inscrit en faux. Selon ce dernier, Moïse Katumbi n’est pas preneur de la main tendue de Kabila.
Un rapprochement entre le président honoraire Joseph Kabila et Moïse Katumbi, leader d’Ensemble pour le changement est-il possible ? Les avis sont partagés. Dimanche dernier, le sujet était sur toutes les lèvres, lors de la rencontre au Pullman Grand Hôtel Kinshasa de la communauté du Grand Katanga. Si l’espace katangais est venu fêter la nomination au poste de Premier ministre d’un des fils, à savoir Sylvestre Ilunga Ilunkamba, dans les conversations de coulisse, l’ombre de Moïse Katumbi a plané sur cette rencontre.
En lançant l’appel à l’unité et à la réconciliation au sein de l’espace Grand Katanga, Albert Yuma Mulimbi, initiateur de cette rencontre, a ouvert la brèche, relançant de la plus belle des manières la polémique autour d’une possible réconciliation entre Kabila et Katumbi. Dans le Grand Katanga, on y croit. On estime qu’avec le dénouement des élections de 2018, qui ont davantage élargi le fossé entre Kabila et Katumbi, le temps est venu de faire la paix.
Des indiscrétions rapportent que deux notables du Grand Katanga, très proches de Kabila, ont reçu mission d’entrer en contact avec l’entourage de Moïse Katumbi. « Il n’y a rien de politique dans cette initiative. Il s’agit juste de réconcilier deux dignes fils du Katanga que la politique séparés. Les élections sont passées. Il est temps de faire la paix et se remettre ensemble pour le bonheur du Grand Katanga et de son peuple », révèle sous le sceau de l’anonymat un notable très influent dans les milieux katangais.
Evidemment, l’initiative d’un probable rapprochement entre Kabila et Katumbi est prise très au sérieux. Dans l’opinion, des supputations vont dans tous les sens. Pour l’instant, c’est encore le suspense. Après tout le martyre subi au cours de trois dernières années de règne de Kabila, le retour de Katumbi dans l’arène de Kabila est une gageure, quand bien même d’aucuns diraient que la politique serait l’art du possible. Le jeu reste donc ouvert. Et toutes les hypothèses sont possibles.
Une fin de non-recevoir
Joint par notre Rédaction, un proche de Moïse Katumbi a balayé d’un revers de la main toute initiative tendant à concrétiser cette initiative qu’il s’est empressé de qualifier d’assassine. S’il confirme son ancrage dans le Grand Katanga où il continue à mettre toute son énergie pour son développement, indique notre source, Moïse Katumbi n’est pas prêt à se jeter dans la gueule du loup. Notre interlocuteur nous a demandé d’interroger l’histoire récente de notre pays et de comprendre la position de son leader.
Gouverneur de l’ex-Katanga, le leader d’Ensemble pour le changement était le chouchou du PPRD, le parti de Joseph Kabila. Ses œuvres et les actes posés en faveur de ce parti ont laissé des empreintes indélébiles. Le grand divorce est intervenu en 2015 à la suite d’une déviation du PPRD par rapport à son engagement démocratique. Cette prise de liberté a coûté à l’ancien et dernier gouverneur du Katanga les affres les plus odieuses. Les uns disent qu’il doit sa survie à la providence, les autres à la foi en son Dieu. Son péché, c’est d’avoir basculé dans l’opposition en se déclarant candidat à la présidentielle repoussée finalement en 2018.
Ceux qui jouent aujourd’hui au rapprochement dans le camp de Kabila, n’ont pas hésité un seul instant de considérer à l’époque Moïse Katumbi comme l’ennemi n°1 de Joseph Kabila. C’était donc l’homme à abattre. Qu’est-ce qui aurait changé à ce jour ? C’est la question que se pose l’entourage du principal opposant. Pour l’affaiblir politiquement et lui barrer la route à la présidentielle passée, l’entourage de Kabila avait monté des dossiers judiciaires de tous genres contre Moïse Katumbi. Affaire « Stoupis », portant sur la spoliation présumée d’un immeuble dans la ville de Lubumbashi. Affaire, tout aussi rocambolesque, de recrutement des mercenaires. Et dire que ledit immeuble est aujourd’hui propriété d’un proche de Joseph Kabila et que l’opinion a attendu en vain qu’on lui présente les présumés mercenaires américains dont le nombre était estimé entre 400 et 600. Puis vint l’exil forcé, lourd d’un jugement par contumace rendu par le tribunal de Kamalondo, à Lubumbashi, à la faveur d’un cafouillage politico-judiciaire indescriptible.
Il a fallu l’alternance intervenue en décembre 2018 pour que le nouveau régime lave Moïse Katumbi de toutes ces fausses affaires et, qu’enfin, il revienne dans son pays après un long passage dans le désert. C’était en mai dernier. Son retour a été triomphal, d’autant qu’il s’est effectué par son fief de Lubumbashi. Preuve que sa popularité n’a souffert d’aucune ride, de même que sur l’ensemble de la RDC, où l’allégresse a été observée jusque dans les coins les plus reculés des provinces de la République.
Comment reconquérir le Grand Katanga ?
Cet ancrage du leader de l’opposition sur l’ensemble du pays et, particulièrement dans le Grand Katanga, a donné des idées à Joseph Kabila. « L’homme de trois penaltys demeure un adversaire politique redoutable, il faudrait imaginer une astuce pour tenter une fois de l’affaiblir, sinon le réduire au silence », se seraient dit ses stratèges. Aussi ont-ils mobilisé les notables du Grand Katanga pour une initiative suicidaire pour Moïse Katumbi et assassine pour le commanditaire. Leur démarche qui consiste à rapprocher le bourreau d’antan avec sa victime est une offre inacceptable.
Des sources bien informées dans le Grand Katanga rapportent que, dans son souci de reconquérir le pouvoir en 2023, le président du PPRD voudrait renouer avec sa base naturelle du Katanga avant d’aller à la conquête d’autres provinces. Ainsi, pour séduire cet électorat, il aurait besoin de donner des signes de réconciliation, une demande de pardon difficile à dissimuler.
Toutefois, c’était sans compter avec la perspicacité de Moïse Katumbi qui, avec le temps, a beaucoup appris. Ses déboires avec le régime Kabila l’ont assagi. Il a appris à comprendre le jeu politique congolais. Dans son entourage, on considère que la main tendue de Kabila, qui se sert du Grand Katanga, pour se réconcilier avec Katumbi est en réalité un couteau à double tranchant.
Kabila prépare déjà la présidentielle 2023, dont il sera assurément le candidat, non pas du FCC mais plutôt du PPRD. Les bonzes se sont retranchés à Lubumbashi pour peaufiner des stratégies y afférentes. Le choix de Lubumbashi n’est pas anodin, se dit-on dans les milieux spécialisés. En effet, Kabila sait que reconquérir le pouvoir à la prochaine présidentielle ne devra pas se faire sans le Grand Katanga. Or, le martyr qu’il a imposé pendant quatre ans à son frère de terroir, Moïse Katumbi, a fondamentalement divisé l’électorat de la communauté katangaise. Dans son entendement, enterrer la hache de guerre avec Katumbi peut l’aider à revenir dans le cœur de la communauté katangaise et le booster sur la scène politique.
Quant à Katumbi, qui ne cache pas non plus ses ambitions pour 2023, se rallier à Kabila reviendrait à réduire son champ d’action. Il devra choisir entre se présenter à l’élection présidentielle prochaine ou œuvrer à l’ombre de Joseph Kabila comme en 2006 et 2011.
A tout prendre, le probable rapprochement Kabila – Katumbi cache de très forts soubassements politiques. C’est un coup bien réfléchi des notables du Grand Katanga qui ne jurent que par Kabila. Katumbi a compris le jeu. Il ne voudrait donc pas servir de tremplin à Joseph Kabila pour 2023. Bref, il n’est pas preneur.
© Le Potentiel / Mediacongo, 24.10.19
Image : Moïse Katumbi
Source : Radio Okapi / John Bompengo