08 02 20 REVUE DE LA PRESSE CONGOLAISE DE CE SAMEDI (Dialogue)
La presse en ligne consultée au matin de ce samedi 8 février 2020 s’étend notamment sur les nominations au sein de l’appareil judicaire congolais ainsi que sur les travaux des sauts-de-mouton qui paralysent la ville de Kinshasa.
Judiciaire
CasInfo.ca évoque les nominations au sein de l’appareil judiciaire et titre : « Justice : Félix Tshisekedi nomme de nouveaux magistrats ».
Félix Tshisekedi a nommé vendredi, dans la soirée, de nouveaux animateurs au sein de l’appareil judiciaire RD congolais, informe ce site. Le chef de l’État a jeté son dévolu sur Jean Paul Mukolo qu’il a élevé au rang de Procureur général près la Cour constitutionnelle alors qu’il a envoyé Dominique Thambwe Wa Kaniki comme Premier président de la Cour de cassation. CasInfo.ca note aussi que les nouvelles mises en place touchent aussi le Conseil d’État qui voit arriver Octave Tela Ziele comme Procureur général. La justice militaire n’est pas en reste, avance ce média en ligne.
« La Cour Constitutionnelle réhabilite Jean Bamanisa dans ses fonctions de gouverneur de l’ Ituri » annonce 7/7.cd
La Cour Constitutionnelle a réhabilité Jean Bamanisa dans ses fonctions de gouverneur de la province de l’Ituri, vendredi 7 février 2020, écrit ce média. Dans son arrêt, la haute cour a qualifié la motion de défiance initiée à l’Assemblée provinciale de l’Ituri contre Jean Bamanisa de « nulle et de nul effet », rapporte 7/7.cd.
Travaux publics
Actualité.cd titre : « Saut-de-mouton: Tshisekedi décide de l’envoi d’un audit sur l’utilisation des fonds ».
Félix Tshisekedi a décidé de l’envoi d’un audit sur l’utilisation des fonds débloqués pour la construction de ces sauts-de-mouton dans la ville de Kinshasa, écrit le site. Au cours de la réunion du Conseil des ministres tenue vendredi, il a annoncé également qu’il procédera à une descente dans tous les chantiers dès son retour d’Addis-Abeba, renseigne ce média. Pour rappel, poursuit Actualité.cd, José Sele Yalaghuli avait révélé fin janvier que certaines entreprises qui exécutent les travaux de 100 jours ont refusé de transmettre au ministère des finances les rapports.
Mediacongo.net ajoute « Construction des sauts-de-mouton: Félix Tshisekedi decide d’un audit sur la gestion des fonds et promet d’effectuer une descente sur terrain »
« Le président de la République, Félix Tshisekedi, a décidé de la mise en place d’un audit sur l’utilisation des fonds alloués pour la construction des sauts-de-mouton à Kinshasa. C’est ce qu’indique le compte rendu de la 20ème réunion du conseil des ministres qu’il a présidée le vendredi 07 février à la Cité de l’Union Africaine.
Pour s’enquérir de l’évolution des travaux, le Chef de l’État a promis de faire une descente dans les différents chantiers de construction de ces ouvrages,dès son retour d’Addis-Abeba, où il prendra part au 33ème sommet de l’Union Africaine.
La dernière visite d’inspection du Chef de l’Etat dans le différents chantiers de sauts-de-mouton remonte au 17 juillet 2019. Lors de cette visite, le Chef de l’État avait reçu des assurances sur le respect de la durée des travaux par les responsables des différents chantiers.Depuis son passage, certains chantiers n’ont même pas encore démarré les travaux ».
Prunelle RDC annonce «Mwenga: situation tendue ce matin à Bigombe, la barrière du FONER déterrée par des motards et des habitants »
« A 24 heures seulement de l’annonce de la désobéissance fiscale par les sociétés civiles de Kamituga et l’organisation d’une marche pacifique pour réclamer la réhabilitation de la RN2, la population de Bigombe passe en action de grande envergure.
Ce matin, les motards empruntant la RN2 ainsi que des habitants viennent de déterrer la barrière du poste FONER (Fonds National d’Entretien Routiers) à Bigombe dans la chefferie de Wamuzimu en territoire de Mwenga.
Les manifestants réclament sans condition et dans un bref délai la réhabilitation de la route nationale numéro 2, tronçon Bukavu-Kitutu, qui est dans un état de délabrement très avancé.
Des coups de balles se font attendre. La police et les éléments de FARDC tentent de calmer les manifestants mais en vain. Ces derniers promettent de ne pas désarmement jusqu’à ce la réhabilitation sera effective.
Ils se disent ne pas comprendre pourquoi ils paient l’argent pour l’entretien de la route mais la route reste dans un état de délabrement très avancé ».
Presse et documents étrangers
“Balkanisation”, tensions régionales ou faiblesse de l’Etat : les vraies menaces sur la stabilité des Kivus
Kivu Security Blog Mapping and analyzing the conflict in eastern Democratic Republic of Congo in real time. – rédaction le 29 janvier 2020 – Traduction le 03 février 2020
La scène s’est produite à Baraka, au Sud-Kivu, le 17 janvier. Un jeune militant de la plateforme d’opposition congolaise Lamuka, coiffée d’un bandeau blanc, harangue la foule et déborde de haine. Il donne 48 heures aux Banyamulenge pour quitter le pays, ordonne de chasser les récalcitrants par la force et menace tous ceux qui aideront ou logeront les membres de cette minorité congolaise rwandophone.
Est-ce un hasard ? Ce dérapage s’est produit à l’issue d’une manifestation nationale à l’appel de l’opposition contre la « balkanisation » du pays. En RD Congo ce terme désigne la crainte, très répandue, qu’il existerait un complot des Etats voisins, en association avec certaines communautés présentes sur le territoire congolais, pour annexer ses riches territoires de l’Est. Selon cette théorie, ces Etats enverraient clandestinement leurs ressortissants en RD Congo pour préparer cette annexion. Le plus souvent, ce sont les communautés tutsies de la région, et en particulier celle du Rwanda, qui sont désignés comme étant les comploteurs.
Ce thème, qui revient régulièrement dans le débat congolais, a été renforcé dans les années 1990 et 2000, par l’occupation de grandes parties du territoire congolais par des rébellions en partie dirigées par des membres des communautés congolaises rwandophones, et soutenues par l’Ouganda (RCD/K-ML) et le Rwanda (RCD-Goma).
Ces dernières semaines, il connait un regain de popularité, notamment depuis un point de presse du cardinal Fridolin Ambongo, plus haute autorité catholique du pays, lors d’une visite à Beni. Lors de ce discours, il a en effet affirmé que les massacres qui touchent ce territoire depuis novembre étaient « planifiés » avec pour « objectif […] la balkanisation de notre pays ». « Cela se vérifie à travers le remplacement de la population déplacée par des populations généralement rwandophones et ougandophones », a-t-il ajouté, dénonçant le « déversement » de populations par les pays voisins, dont l’Ouganda, le Rwanda et le Burundi.
Malgré les précautions oratoires du prélat, qui a notamment confirmé la nationalité congolaise de certaines communautés rwandophones, dont les Banyamulenge, la diffusion de cette thèse pourrait renforcer la défiance contre ces minorités. Plusieurs messages haineux, comparables à ceux de Baraka, ont en en effet circulé sur les réseaux sociaux tout au long du mois de janvier.
Ces suspicions ont également été alimentées par les propos maladroits de Vital Kamerhe, le directeur de cabinet du président, présent Rwanda le 4 janvier pour le mariage d’un fils de l’ancien ministre rwandais de la défense James Kabarebe. Ce dernier a en effet dit offrir 30 vaches pour « consolider les relations » entre le Rwanda et le « Kivu », comme si les provinces de l’Est de la RD Congo constituaient une entité séparée du reste du pays.
L’opposant et candidat à la dernière élection présidentielle Martin Fayulu, qui utilise la rhétorique de la balkanisation depuis plusieurs années, a profité de ce contexte pour réitérer ses propos, accusant même publiquement le président Félix Tshisekedi et son prédécesseur, Joseph Kabila, de poursuivre ce projet. En privé, il affirme même que Félix Tshisekedi chercherait à mener la « balkanisation » à son terme en complicité avec le président rwandais Paul Kagame.
Ce thème, qui offre une explication simple à des problèmes complexes, rencontre en tout cas un réel succès populaire. Et les affrontements intenses, qui ont notamment touché trois zones de l’Est Congolais ces derniers mois, ont notamment contribué à renforcer sa popularité.
Ceux du territoire de Beni, tout d’abord, cités par Mgr Ambongo à l’appui de son discours. Deux cent soixante-cinq civils y ont été tués principalement par la mystérieuse rébellion islamiste d’origine ougandaise des Forces démocratiques alliées (ADF) depuis novembre, selon le dernier décompte du Baromètre sécuritaire du Kivu (KST). Ce mode opératoire, particulièrement brutal et difficilement compréhensible, a de fait, abouti à des déplacements internes de civils fuyant les massacres.
Celui des hauts-plateaux de Fizi et Uvira, ensuite. Des groupes armés issus des communautés locales Banyindu, Babembe et Bafuliru y contestent la création de la commune rurale de Minembwe, située dans une zone majoritairement Banyamulenge. Des violences, contre les civils et des vols de bétail, y ont notamment été commises. Dans le même temps, des groupes armés banyamulenge, prétendant défendre leur communauté, ont également commis des violences contre des civils. De nombreux villages ont été brûlés au cours de cette crise qui a amené, là aussi, à des déplacements de population. La défection du colonel de l’armée congolaise Michel Rukunda, alias Makanika, (un munyamulenge) début janvier, est venu accréditer l’idée qu’une vaste rébellion banyamulenge serait en gestation. C’est « l’expansionnisme Banyamulenge », assure ainsi un responsable politique de la ville de Bukavu au KST.
Le troisième conflit alimentant les suspicions est celui déclenché fin novembre par l’armée congolaise pour déloger la rébellion hutu rwandaise du Conseil national pour le renouveau et la démocratie (CNRD) du territoire de Kalehe. Comme dans le territoire de Rutshuru les mois précédents, de nombreuses sources locales contactées par le KST ont rapporté la présence de soldats du gouvernement rwandais sous uniforme congolais. Selon plusieurs d’entre elles, des habitants effrayés ont alors déserté les villages de Kigogo et Kasika.
Mais ces trois situations semblent en réalité obéir à des logiques locales différentes et il paraît difficile d’y voir un plan concerté à l’échelle régionale.
Dans le territoire de Beni, les ADF, sont arrivés il y a près de 25 ans avec l’objectif de lutter contre le pouvoir de Kampala. Ils ont tissé des relations avec des communautés locales et ont notamment tiré profit de leurs conflits, selon les recherches du Groupe d’étude sur le Congo (GEC). Ce groupe pourrait avoir, dans une certaine mesure, des ambitions territoriales, mais il paraît difficilement imaginable qu’elles puissent un jour aboutir à la reconnaissance internationale d’un Etat indépendant ou à un rattachement à l’Ouganda.
Pourtant, dans son discours du 3 janvier, Mgr Ambongo a affirmé que des « immigrés rwandais chassés de Tanzanie il y a quelques années » ont été « déversés » dans les zones vidées de leur population par les massacres. Il s’agit d’une référence aux migrations de populations hutues qui ont quitté ces dernières années des territoires congolais de Masisi et Lubero vers la province de l’Ituri, et qui ont transité par Beni. L’ampleur et l’actualité de ces migrations restent toutefois difficiles à évaluer. Elle ne semblent, en tout cas, ne concerner que très marginalement les zones urbaines du territoire de Beni cible principale des massacres récents.
Sur les hauts plateaux de Fizi et Uvira, ensuite, les groupes armés banyamulenge paraissent affaiblis, divisés, et pourraient très difficilement avoir les moyens de projets indépendantistes. Le profil du colonel renégat, Makanika, cadre par ailleurs mal avec l’idée que les groupes armés banyamulenge seraient complices du Rwanda. Makanika a, au contraire, pris part à de nombreuses rébellions contre Kigali dans les années 2000, et il était encore décrit en 2013 comme « fermement opposé au Rwanda ». Plusieurs membres de la société civile banyamulenge expriment en outre de la défiance vis-à-vis du Rwanda, affirmant notamment que les rébellions et groupes mai-mai qui les menacent sont soutenues par Kigali, qui chercherait ainsi à les punir d’avoir abrité en leur sein une rébellion rwandaise : le Congrès national rwandais (RNC).
De plus, malgré de nombreuses rumeurs, peu d’officiers congolais semblent avoir suivi les traces de Makanika. Il a certes été rejoint par d’anciens militaires revenus de l’étranger, comme Gakunzi Masabo et Alexis Gasita dans son fief de Kajembwe. Mais la plupart des leaders militaires banyamulenge actifs dans l’armée congolaise, comme Masunzu, Venant Bisogo, et Mustafa, sont actuellement stationnés très loin du front, dans l’ouest du pays. L’ancien chef rebelle Richard Tawimbi se trouve lui aussi, dans la capitale congolaise. Et les autres officiers banyamulenge sont étroitement surveillés par leurs collègues. Trois officiers banyamulenge soupçonnés de vouloir faire défection – le lieutenant-colonel Joli Mufoko Rugwe, le major Sébastien Mugemani et le sous-lieutenant Aimable Rukuyana Nyamugume – sont ainsi aux arrêts depuis plusieurs mois au camp Saïo à Bukavu, selon une source militaire et une source de la société civile locale.
Dernier territoire où la réalité de terrain correspond mal à la théorie de la balkanisation : celui de Kalehe. Plusieurs sources des autorités coutumières locales, onusiennes, diplomatiques et militaires congolaises, ont, il est vrai, confirmé au KST la présence d’éléments des Forces de défense rwandaises (RDF) lors de l’offensive contre le CNRD. Les estimations de leur nombre divergent considérablement, de quelques officiers de renseignement à plusieurs bataillons. Mais selon une source militaire congolaise, qui affirme avoir été présente lors de l’arrivée discrète d’un bataillon rwandais, ces opérations sont ponctuelles et acceptées par le président Félix Tshisekedi. Elles n’auraient été dissimulées que par crainte d’une réaction hostile des habitants. Surtout, plutôt que de « déverser » des populations rwandophones en RD Congo, elles ont abouti au contraire au rapatriement de près de 2500 membres rebelles rwandais du CNRD (combattants et familles) de la RD Congo vers le Rwanda.
La théorie de la balkanisation décrit donc mal les conflits divers qui touchent les Kivus. Contrairement à la situation des années 2000-2013, aucune rébellion rwandophone congolaise ne semble en réalité être soutenue par le Rwanda actuellement.
Cela ne signifie pas, pour autant, que la situation actuelle soit rassurante. Des dizaines de milliers de Congolais de l’Est vivent dans des territoires sous contrôle de plus d’une centaine de groupes armés et échappent, de fait, à la souveraineté de Kinshasa. Plus qu’un plan régional concerté entre Etats voisins pour dépecer la RD Congo, ce sont les tensions entre ces mêmes états, conjugués à la faiblesse des autorités congolaises, qui paraissent menacer la stabilité des Kivus.
L’Ouganda et le Burundi d’une part, et le Rwanda d’autre part, s’accusent en effet mutuellement de soutenir des groupes dissidents dans l’Est du Congo et n’hésitent pas à les combattre, soit directement, soit par l’intermédiaire de groupes alliés.
Kigali a notamment accusé le Burundi et l’Ouganda de soutenir le RNC, ce qui a été en partie confirmée par le groupe d’expert de l’ONU pour la RDC. Le RNC a toutefois été considérablement affaibli dans des conditions mystérieuses en 2019 : il ne dispose de moins d’une cinquantaine d’homme près du village de Miti, selon une source des renseignements de la Monusco et une source de la société civile.
Plusieurs attaques, menées à partir du territoire congolais, ont en outre touché le Burundi et le Rwanda ces derniers mois. Ce fut le cas de l’attaque de Kinigi au Rwanda le 6 octobre attribuée par Kigali à la rébellion hutu rwandaise du Rassemblement pour l’unité et la démocratie (RUD) qui serait soutenue par l’Ouganda. Puis de celle du 22 octobre à Musigati, au Burundi, revendiquée par les RED-Tabara, un groupe rebelle burundais opérant au Sud-Kivu. Le 16 novembre enfin, le Burundi a subi une nouvelle attaque, à Mabayi, pour laquelle le président burundais a accusé le Rwanda.
Par ailleurs, plusieurs rébellions burundaises hostiles au gouvernement de Gitega sont présentes dans le Sud-Kivu, comme les RED-Tabara, le Frodebu ou encore les FNL. Selon une source militaire congolaise et un rapport des experts de l’ONU, le RED-Tabara, notamment, a été soutenu par Kigali ces dernières années. Par ailleurs, les Forces de défense nationale du Burundi (FDN) et les milices Imbonerakure (proche du pouvoir de Gitega) font régulièrement des incursions en RD Congo, notamment selon les rapports du groupe d’experts de l’ONU sur la RDC et des responsables sécuritaires interrogés par le KST. Certains membres des autorités burundaises soutiendraient par ailleurs plusieurs groupes armés congolais, comme les Mai-mai Mbulu, dans la plaine de la Ruzizi, probablement pour prévenir l’éventualité d’une attaque sur leur sol.
Si l’élection présidentielle burundaise, prévue pour le mois de mai, devait provoquer une contestation violente comparable à la précédente, en 2015, le Sud-Kivu pourrait redevenir un champ de bataille. Cela ne signifierait pas, pour autant, que la « balkanisation » du pays soit en marche.
Les deux travaux de Tshisekedi; dissoudre l’Assemblée nationale et « neutraliser » Yuma
Hubert Leclercq – La Libre – le 2 février 2020
Le président Tshisekedi menace de dissoudre l’Assemblée nationale. Le 15 mars, date de l’ouverture de la session parlementaire, est pointé au “stylo rouge” à cet effet. Les dissensions sont exacerbées entre les partenaires au pouvoir mais aussi au sein même des partis ».
« Les accolades entre le président sortant, Joseph Kabila, et son “successeur”, Félix Tshisekedi, le 24 janvier 2019, lors de la première passation de pouvoir pacifique en République démocratique du Congo apparaissent désormais comme une lointaine image du passé.
Depuis cette chaude journée de janvier, le climat n’a cessé de se détériorer entre les deux hommes et leur plateforme politique respective. Les premiers nuages sont apparus dès le mois d’avril 2019, à l’occasion du premier voyage de Félix Tshisekedi aux États-Unis. Là, loin de Kinshasa et de l’ombre tutélaire de Joseph Kabila, qui a conservé une majorité absolue tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat, au terme d’élections présidentielle et législatives aussi douteuses que chaotiques, Félix Tshisekedi, adoubé par une administration américaine déterminée à en finir avec la mainmise de l’ancien régime, avait expliqué qu’il voulait “déboulonner le système dictatorial qui était en place”.
Près de dix mois plus tard, alors que les tensions n’ont fait que croître entre les membres de la plateforme Cap pour le changement (Cach) qui ont porté la candidature de Félix Tshisekedi et le Front Commun pour le Congo (FCC) bâti autour de la personnalité de Joseph Kabila, lors de sa visite à Londres, le président congolais promet de sanctionner les ministres (issus des rangs kabilistes) qui l’empêchent de mener sa politique et menace, dans la foulée, de dissoudre l’Assemblée nationale composée à plus de 70 % des membres de cette plateforme kabiliste.
Un discours qui séduit les membres de son parti, l’UDPS, qui acceptent mal les concessions qu’ils sont contraints de faire à leurs “alliés” kabilistes et des mots qui résonnent favorablement aux oreilles d’une communauté internationale, États-Unis en tête, qui intensifie sa pression sur le président congolais pour qu’il coupe les ponts avec son prédécesseur.
Washington a envoyé rapidement, dès le début de l’année 2019, des messages clairs à l’attention du (des) pouvoir(s) congolais, notamment, en sanctionnant Corneille Nangaa, le président de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) chargée d’organiser la présidentielle et les législatives. Dès le mois de février, lui et son vice-président Norbert Basengezi, notamment, sont interdits de visa pour les États-Unis, avant que Washington ne passe aux sanctions financières un mois plus tard, leur reprochant des détournements de fonds et d’avoir “sapé le bon déroulement du processus électoral”.
Albert Yuma comme symbole de la corruption
L’administration américaine met aussi son veto à la désignation d’Albert Yuma, le patron de la Gécamines, comme Premier ministre d’un futur gouvernement congolais. Kabila insistera, Tshisekedi tiendra bon. Il sait que s’il cède sur Yuma, il perdra tout crédit à Washington et qu’il pourra dès lors faire une croix sur l’aide vitale qu’il attend du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale.
Aujourd’hui, le nom de Yuma est toujours au centre des tensions entre Kabila et Tshisekedi, surtout depuis la médiatisation des largesses de “sa” Gécamines à l’égard de Dan Gertler, homme d’affaires israélien indissociable du pouvoir de Kabila et blacklisté par Washington. “Depuis son installation à la tête de l’État, Tshisekedi n’a rien fait pour stopper l’hémorragie de la Gécamines. S’il veut prouver qu’il entend mener une croisade contre la corruption, il doit poser un geste fort et sanctionner Yuma”, explique sous couvert d’anonymat une source diplomatique, qui insiste aussi pour que la dissolution de l’Assemblée nationale soit sur la table à la rentrée parlementaire du 15 mars prochain.
Fin de semaine, la présence de Dan Gertler était signalée à Kinshasa. Le businessman israélien qui a participé à l’installation de Kabila sur le trône de la RDC est devenu un intime de certains membres de la garde rapprochée de Tshisekedi. Frapper Yuma, aujourd’hui, c’est toucher Kabila et éclabousser Gertler. Un jeu de ricochet pas banal pour le locataire du pouvoir à Kinshasa.
La pression est donc maximale sur Félix Tshisekedi qui doit à la fois gérer les pressions externes qui exigent des changements plus rapides et en profondeur, mais aussi celles issues de certains membres influents de sa plateforme qui craignent en brusquant Kabila de perdre le bénéfice du “deal” passé avec lui après l’élection présidentielle et, enfin, la pression des kabilistes qui ne veulent pas lâcher leur pouvoir. Certains ont déjà dû mettre beaucoup d’eau dans leur vin. D’autres ont été obligés de partager avec des membres de Cach. On est loin du discours tenu en novembre 2017 par Henri Mova, alors secrétaire général du PPRD, quand celui-ci expliquait qu’il était hors de question de « partager encore un peu plus le gâteau ».
Depuis cette date, Henri Mova a quitté le secrétariat général du PPRD, le parti de Kabila (largement majoritaire au sein de la plateforme FCC). Il a été remplacé par Emmanuel Ramazani Shadary qui deviendra même, le temps d’une campagne catastrophique, le successeur désigné de Joseph Kabila.
Mais Ramazani Shadary n’a pas réussi son pari de prendre les rênes du pouvoir. La faute à qui ? Dans les rangs du FCC, plutôt que de fustiger la Ceni, certains, de plus en plus nombreux, pointent Shadary lui-même. Certains l’accusent même d’avoir « oublié d’investir » dans sa campagne présidentielle une partie des fonds reçus de la présidence. D’autres pointent son « arrogance » lors de cette présidentielle. Emmanuel Ramazani Shadary est devenu l’étendard de la Kabilie qui perd. « Il ne faut pas chercher ailleurs que dans son propre parti les rumeurs sur son débarquement d’un vol pour Bujumbura le week-end dernier et les accusations d’acquisition frauduleuse d’une maison de l’Etat en plein centre de Kinshasa », explique un membre du FCC mais pas du PPRD. Shadary gêne du monde.
Et les tensions au sein des familles de la majorité sont légion. Entre l’UDPS et l’UNC, ce n’est plus le grand amour. Entre l’UDPS et le PPRD – et donc le FCC -, c’est carrément la guerre froide. La base, celle-là même qui avait justifié que Félix Tshisekedi et Vital Kamerhe retirent leur signature du texte de l’accord faisant de Martin Fayulu le candidat unique de l’opposition et de Lamuka après la réunion de Genève le 11 novembre 2018, appellent aujourd’hui au divorce entre CACH et le FCC. L’installation à la présidence a-t-elle perturbé l’audition de Félix Tshisekedi ? La réponse ne devrait pas tarder.
Choix crucial pour Tshisekedi
Il reste 45 jours, jusqu’à l’ouverture de la session parlementaire (le 15 mars), au président congolais pour choisir définitivement son camp. La République démocratique du Congo est plongée dans une zone de turbulence inévitable qui inquiète ses voisins et tout le continent africain. Une instabilité née d’un scrutin honteux et d’une alliance intenable entre deux clans qui ont pensé qu’ils pouvaient imposer leur choix inique au monde entier.
Mme Wilmès et MM. De Croo et De Crem en RDC du 5 au 7 février
Belga – le 30 janvier 2020
« Une délégation gouvernementale emmenée par la Première ministre Sophie Wilmès se rendra la semaine prochaine en République démocratique du Congo (RDC), a annoncé mercredi la diplomatie belge. Mme Wilmès (MR) sera accompagnée par le vice-Premier ministre et ministre des Finances et de la Coopération au développement, Alexander De Croo (Open Vld), et par le ministre de l’Intérieur, de la Sécurité et du Commerce extérieur, Pieter De Crem (CD&V).
Ils se rendront à Kinshasa et à Lubumbashi, le chef-lieu de la province du Haut-Katanga (sud-est) du 5 au 7 février, a précisé le Service public fédéral (SPF) Affaires étrangères dans un communiqué.
« Des contacts politiques de haut niveau, ainsi que des rencontres avec le monde des affaires et des ONG sont à l’ordre du jour à Kinshasa. La délégation se rendra aussi au Consulat général de Belgique à Lubumbashi, de nouveau opérationnel depuis peu, pour procéder à une ouverture solennelle », souligne le texte.
Les trois membres du gouvernement fédéral, démissionnaire, minoritaire et expédiant les affaires courantes, visiteront également un projet – non autrement identifié – de la coopération de développement belge.
Ce déplacement avait été annoncé par Mme Wilmès le 22 janvier, à l’issue d’un entretien avec le président congolais Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo en marge du Forum économique mondial (WEF) de Davos, en Suisse.
Le ministre des Affaires étrangères et de la Défense, Philippe Goffin (MR), ne sera par contre pas du voyage, selon son entourage.
Le gouverneur du Lualaba veut combattre la “douleur sociale”
Colette Braeckman – Le Soir – le 4 février 2020
Richard Muyej nous devons nous préparer à l’ « après mines »
Historien de formation, le gouverneur de la nouvelle province du Lualaba, Richard Muyej tient à inscrire sa ville dans l’histoire du pays :
« Kolwezi a tellement marqué l’histoire du Congo que, sur le rond point de l’indépendance, j’ai tenu à faire figurer toutes les personnalités historiques du pays, le premier président Kasa Vubu, le Premier Ministre Patrice Lumumba, Moïse Tshombe, mais aussi le roi Baudouin et l’ancien secrétaire général de l’ONU Dag Hammarskold qui trouva la mort au Katanga. On découvre aussi Mobutu, Kabila père, Kabila fils, Félix Tshisekedi :si j’ai affiché toutes ces personnalités c’est pour faire comprendre aux jeunes que notre pays est aussi le produit d’une histoire déjà longue…Tant d’évènements historiques sont partis d’ici…Nos héros sont morts pour cimenter nos liens. Je ne crois pas en une éventuelle balkanisation, la force du peuple sera toujours plus forte. Il faut que les Congolais se sentent une même peuple, une même nation, ils appartiennent à un même espace, avons vécu les mêmes réalités. Lorsque Goma a été conquise, les Congolais, dans tout le pays sont descendus dans la rue, il ne fallait pas perdre un seul centimètre de notre territoire…
Evoquer la balkanisation, cela suscite une peur injustifiée…Nous devons plutôt nous concentrer sur d’autres défis, qui sont énormes…
Quels sont les défis qui se posent à votre province, le Lualaba, à la ville de Kolwezi ?
Le paradoxe est commun à toutes les provinces de notre pays, nous connaissons d’un côté l’immensité de nos richesses et de l’autre la précarité de la vie des citoyens. Kolwezi s’est vue décerner le nom de « capitale mondiale du cobalt » c’est fort bien. Mais à la périphérie de la ville, nous avons encore des problèmes élémentaires à résoudre, comme assurer à nos jeunes l’accès à l’éducation, à l’emploi… Il nous faut concentrer nos énergies et susciter l’épanouissement de nos communautés. Le Lualaba a des atouts liés aux activités minières et le paiement de la redevance, dont s’acquittent les sociétés minières, nous permettent certaines réalisations comme une nouvelle Assemblée nationale, un bureau du gouvernement, de nouveaux auditoires pour l’Université.. Il y a toujours eu des taxes, mais c’est la première fois qu’elles permettent tant de réalisations. C’est au Trésor public, à Kinshasa, que les sociétés minières paient le gros de leurs taxes mais il y a tout de même des taxes, prévues par le nouveau Code minier, qui sont destinées à la province. C’est une question de volonté politique, de redevabilité ; il faut que ces taxes servent à la population…L’hôtel du gouvernement a été construit en deux ans, nous édifions le siège du parlement provincial, chaque député aura son bureau. Une province aussi prestigieuse devra avoir un minimum d’infrastructures mais le grand défi c’est dans les territoires qu’il se pose.
La richesse du sous sol, la pauvreté de la population, n’est ce pas un scandale ?
J’ai un point de vue clair sur l’impact des mines sur l’épanouissement de nos communautés. A la veille e du 60 e anniversaire de l’indépendance je suis gêné de présenter mon pays comme immensément riche avec une population tellement pauvre. Il faut utiliser les moyens que nous procurent les mines pour préparer l’avenir et investir dans les secteurs de prédilection que sont l’agriculture et le tourisme.
L’agriculture suscite l’épanouissement des communautés à la base. Quant au tourisme, nous avons un potentiel exceptionnel, dans toute la province et dans les territoires. Tout près d’ici, le lac de Zilo est un lieu très attractif où l’on oublie l’environnement minier… Nous allons construire une école dite d’après mines, afin que les générations futures se préparent déjà, par prudence, à vivre sans les mines… J’ai l’impression que les mines n’ont eu aucun impact direct sur le développement du Congo. A la veille du 60 e anniversaire de l’indépendance le bilan du secteur minier demeure mitigé. Même dans les espaces où se développent de grands projets miniers (Glencore, Sicomines, Tenke Fungurume…) si l’on s’éloigne de cinq à dix kilomètres, on ne sent plus l’odeur du cuivre et du cobalt, il n’y a plus que l’odeur de la pauvreté…
Si on se ressaissit maintenant et que l’on réinvestit dans l’agriculture, si on attire le tourisme, on aura des résultats plus rapidement que si on continue à compter sur les mines. L’ancien président Kabila partageait cette vision, Félix Tshisekedi aussi : les mines oui mais il faut aussi autre chose…
Ne faudrait il pas dès aujourd’hui veiller à ce que la contribution des entreprises minières bénéficie davantage à la population ?
Absolument. Déjà avec le bénéfice des mines nous investissons dans les infrastructures : nous avons deux grands projets routiers. Le premier c’est d’ ouvrir le Lualaba vers l’Angola par Dilolo et vers la Zambie. En ce qui concerne l’axe Kolwezi Dilolo Lobito, les travaux ont déjà commencé. D’ici trois ou quatre ans, la région sera reliée avec l’Angola/ Avant l’indépendance tout sortait, facilement, par le port de Lobito en Angola. Nous allons construire une route asphaltée sur 444 km qui seront réhabilités ce qui prendra au moins trois ans. Du coté angolais c’est déjà fait ils ont réhabilité la route et aussi le rail…
J’ai des partenaires potentiels qui veulent investir sur le rail. Nous sommes assis sur le coffre fort du pays et nous voulons que notre province du Lualaba soit un tremplin pour le développement du Congo… Le rail est rationnel pour les marchandises mais la route est indispensable pour le déplacement des personnes. Nous pourrions aller par route fers Kinshasa en passant vers l’Angola. La connection vers la Zambie peut se faire en deux ans.
Quelle est l’évolution démographique de la province ?
A Kolwezi, nous sommes au-delà de 750.000 habitants, deux millions 500.000 au niveau de la province. Je crains que les statistiques soient largement dépassées car au Kasaî où s’épuisent les gisements de diamants il faut désormais aller chercher en profondeur… Ici, lorsque le prix du cobalt a pris de l’élan nous avons connu l’afflux des jeunes venus des provinces voisines et plusieurs sites ont été occupés. Notre crainte, c’est que les provinces voisines, le Kasaï et le Maniéma se dépeuplent de leurs jeunes qui viennent chez nous avec des comportements qui nous paraissent négatifs. Il faut une stratégie nationale pour bloquer la fuite de ces jeunes qui veulent quitter leur province…Et aussi pour nous aider à créer des structures claires d’encadrement. Il y a des afflux de creuseurs qui ne parlent même pas les langues locales. Certes tous les Congolais selon l’article 30 de la Constitution ont le droit de vivre dans leur pays, mais il faut de l’ordre dans tout cela…
C’est même un sujet que nous avons soumis à l’autorité nationale. Il faut un certain contrôle de population, intégrer ces nouveaux venus dans les stratégies de développement. Nous faisons tout pour éviter de nouveaux incidents ; nous sommes chargés de veiller à l’unité du pays. Le pays est géré par une coalition dont nous sommes membres et nous allons tout faire pour garantir la paix qui fait parie de l’unité du pays…
J’ai voyagé dans l’Est, je sais ce qui se passe à Beni, je sais ce qu’est la guerre, je connais les effets des affrontements intercommunautaires. Nous ne voulons pas d’une telle situation ici… La population est suffisamment sensibilisée et nous menons des réunions de concertation permanente avec les pays voisins comme la Zambie, le contrôle des frontières fonctionne régulièrement… C’est sur le Lualaba que reposent les espoirs de développement du pays, il faut le préserver…Nous sommes conscients de cette responsabilité.
On a le sentiment que les grandes sociétés minières prennent aujourd’hui tout ce qu’elles peuvent, que le Lualaba est mis en coupe réglée. Mais la fin, lorsque les gisements seront épuisés que restera- t il aux Congolais, à part les remblais et les déchets ?
Nous devons reconnaître qu’au début, (ndlr. en 2002) c’est avec un certain taux de naïveté que nous avons négocié les premiers contrats de partenariat. On a beaucoup donné aux capitaux étrangers et par la suite, on s’est rendu compte que l’on avait privilégié l’intérêt des autres. Nous avons alors initié la « revisitation des contrats miniers » pour rétablir l’équilibre mais on n’a pas réussi car très vite, on s’est rendu compte que les autres parties disposaient des services de juristes forts, que les clauses des contrats étaient suffisamment verrouillées. Le Code Minier actuel a été le résultat d’une épreuve de force.
Aux partenaires, je dis que nous sommes à la recherche des équilibres, nous n’avons cela comme richesse et nous avons des obligations vis-à-vis de notre peuple. Quand on est partenaire on doit tenir compte aussi du bonheur de l’autre…Le nouveau Code minier tient compte de tout cela… Sur ce point, l’ancien président Kabila est resté constant et je suis heureux de constater que le nouveau président Félix Tshisekedi partage la même vision, la même fermeté, c’est cela qui fera qui fera notre force. Sur tous ces sujets notre nouveau président est simple et clair, il parle sans ambages. Pour lui, il faut que le peuple trouve son compte dans ces contrats… Il faut un dialogue responsable qui privilégie les intérêts des deux côtés
A l’issue de l’épreuve de force, lorsque fut promulgué le nouveau Code minier, les sociétés minières sont elles parties comme elles avaient menacé de le faire ?
Mais elles sont là ! Elles travaillent, elles s’acquittent de leurs obligations, paient entre autres la redevance minière dont nous bénéficions. Il faut leur rendre justice, elles paient leurs taxes, correctement et à temps…
Dans ce pays il y a du potentiel dans toutes les régions, il faut développer les possibilités partout afin que les populations y trouvent leur compte ainsi que les générations futures. Je suis surpris par les débats politiques à Kinshasa, provoqués par des incompréhensions passagères. Pour moi, le sujet le plus important est de s’atteler à ce que la présidente de l’Assemblée, Mme Mabunda, a appelé la « douleur sociale ».
Voici un an, tout le monde s’attendait au chaos, les élections se sont déroulées, les Assemblées sont en place mais maintenant l’urgence est sociale…
Les artisans creuseurs protestent car ils n’ont pas de place pour travailler..
Nous sommes en train de créer un centre de négoce qui va constituer l’unique marché pour les transactions issues de l’exploitation minière. Nous avons déjà dépensé 15 millions de dollars, entamé des prospections sur de nouveaux sites miniers et leur découverture va avoir lieu.
Ce sera la fin des appareils truqués, des balances falsifiées qui bradent le marché de nos compatriotes, il y aura des balances, des entrepôts, trois laboratoires, les services de l ’Etat seront concentrés pour que dans ces opérations chacun trouve son compte ; lorsque les creuseurs auront leurs espaces destinés à l’exploitation artisanale ils n’auront plus aucune raison de se rendre sur les sites privés et nos partenaires seront rassurés. Le transport des minerais aussi sera organisé. Des certificats indiqueront les sites d’origine. Les exportations de cuivre se poursuivront mais il y aura des restrictions concernant le cobalt puisqu’il entre comme le coltan et le germanium dans la catégorie des minerais stratégiques et ne pourra plus être commercialisé n’importe comment…Dès que le centre de négoce sera ouvert tous ces comptoirs privés seront fermés, alors qu’aujourd’hui ils pullulent à côté des concessions. Nous voulons aussi protéger les privés qui sont des partenaires de l’Etat ou de la Gécamines et les mettre à l’abri des infiltrations des creuseurs… Dans les mines, il faut que tout le monde retrouve son compte…
L’avenir du Congo est insulté
Colette Braeckman – Le Soir – le 4 février 2020
Le Congo cessera-t-il un jour de nous indigner ? A satiété, les meilleurs auteurs ont dénoncé les abus de la colonisation, le portage, le travail forcé… Les crimes politiques et les violences qui ont accompagné une indépendance mal préparée ont été longuement analysés, y compris au sein d’une commission d’enquête parlementaire. La dictature de Mobutu, sur laquelle l’Occident a fermé les yeux durant trois décennies a fini par disparaître dans l’opprobre général. Les guerres qui ont suivi, dévastant l’Est du pays, n’ont pas encore livré tous leurs secrets : guerres menées par les voisins, conflits ethniques, captation des ressources comme le coltan. Les crimes commis dans les deux Kivu n’ont même pas encore été jugés et à Beni, les morts se comptent toujours par dizaines. Malgré les carences de la justice et l’impuissance de la communauté internationale, on croyait tout savoir des souffrances du Congo, souvent incarnées par le viol des femmes et le recrutement des enfants soldats. Eh bien non. Force est de constater, la rage au cœur, qu’on ne savait pas encore tout.
La confirmation du scandale nous frappe au visage comme un coup de poing : l’avenir lui aussi est insulté, hypothéqué. L’exploitation minière qui devrait permettre le développement des générations présentes se révèle une bombe à retardement pour les générations futures. Au Katanga, où les mines devraient servir à construire des routes, des écoles, des hôpitaux, alimenter le budget de l’Etat et permettre le décollage, elles font la fortune des grandes sociétés et se révèlent un fardeau pour l’avenir.
Le Congo certes, a toujours possédé les ressources dont le monde avait besoin, qu’il s’agisse du cuivre, de l’uranium, du coltan et aujourd’hui du cobalt et du lithium. Mais non seulement ces pactoles successifs n’ont jamais bénéficié aux populations congolaises, aujourd’hui c’est l’avenir lui-même qu’elles hypothèquent. Car ces minerais qui devraient nous assurer une énergie propre et nous libérer de notre dépendance au pétrole, se révéleront peut-être un poison pour les Congolais eux-mêmes, soumis aux radiations, victimes de la contamination de leurs sols, de la mort clinique de leurs rivières, sans parler des menaces qui pèsent sur la forêt tropicale, réservoir de biodiversité !
Si l’avenir est ainsi hypothéqué, ce n’est cependant pas à cause des ressources naturelles elles mêmes, qui auraient pu être une source de richesse partagée. Le véritable ennemi du Congo, qui risque de le détruire, c’est une fois de plus, l’avidité d’un monde obnubilé par le profit immédiat et dominé par les « majors » qu’elles soient occidentales et aujourd’hui chinoises. C’est aussi la complicité des élites nationales, au plus haut niveau du pouvoir, allègres partenaires du pillage ou vilipendées dès lors qu’elles veulent modifier les termes de l’échange.
A Kolwezi, d’autres solutions sont possibles
Colette Braeckman – Le Soir – le 4 février 2020
Les grandes sociétés veulent sans cesse étendre leurs concessions, les creuseurs artisanaux affluent, toujours plus nombreux et les autorités ont bien de la peine à faire respecter le prescrit du code minier, dont la nouvelle mouture, adoptée en 2018, considère que le travail des artisans creuseurs est légal et que des ZEA (zones d’exploitation artisanales) doivent leur être concédées. C’est pourquoi le gouverneur est fier de deux initiatives. La première émane de la société Chemaf, qui estime qu’il est finalement plus rentable de faire travailler les creuseurs que les chasser pour les remplacer par de coûteux engins de chantier. Sur le site de Mutoshi, les excavatrices ont facilité le travail des artisans en déblayant sur plusieurs mètres de profondeur les couches superficielles du sol, jusqu’à atteindre la couche minéralisée. Plus de 5000 creuseurs se sont alors précipités sur cette veine ouverte : les hommes extraient les pierres, les femmes les concassent, les trient. Des garçons hissent les sacs sur des vélos pour les amener jusqu’à l’entrepôt où le minerai sera jaugé et pesé.
La mine ressemble à une fourmilière, mais ici, chaque creuseur, dûment enregistré, porte, obligatoirement, un casque et une veste de chantier, une infirmerie accueille les éventuels blessés et sur le parking extérieur, une centaine de camions qui rouleront la nuit attendent d’être chargés. « La sécurité, c’est notre maître mot » assure le chef de chantier qui assure que la société a trouvé un bon compromis entre les intérêts de chacun…Il ajoute que les jeunes enfants, les femmes enceintes sont, en principe, interdits d’accès dans l’enceinte de la mine (mais comment distinguer les mineurs d’âge et comment déceler les premiers mois d’une grossesse ?
Prezo, prezo » (président…)Alors que le Ministre des mines suscite une ovation en distribuant quelques billets, certains creuseurs, nous prenant à l’écart, soulignent tout de même que sur la mine de Chemaf ils ont perdu leur sacro sainte liberté : « c’est à la société, et à elle seule, que nous devons vendre notre production et leur prix doit être le nôtre, impossible d’aller voir ailleurs… »
D’ici quelques semaines cependant les possibilités de choix des creuseurs pourraient se trouver renforcées.
En effet, les autorités de la province ont décidé de raser, impitoyablement, les entrepôts lépreux, les bureaux d’achat qui s’étirent à la sortie de Kolwezi : tous, vendeurs et négociants, creuseurs et intermédiaires, devront se diriger vers le « centre de négoce » qui est en train de s’édifier au lieu dit Musompo. Fini le commerce informel, terminées les combines, les négociations individuelles. Les minerais proposés par les creuseurs ne pourront venir que des ZEA (zones d’exploitation artisanales) autorisées, trois laboratoires seront chargés de certifier l’origine et la teneur des matières proposées. Un guichet unique facilitera les transactions, la police des mines veillera à maintenir l’ordre, les mineurs toucheront leur argent au guichet des banques et un « salon de négoce » accueillera les partenaires…Le pesage des camions se fera sur un pont bascule, un grand parking accueillera les « trucks » dont les chauffeurs pourront même se reposer dans un guest house construit à leur intention…
Cependant, devant la perspective de cette modernité soudaine, certains de nos interlocuteurs demeurent sceptiques : les Chinois ouvriront ailleurs leurs comptoirs, les creuseurs rejoindront Likasi, ex Jadotville où la veine se révèle riche en uranium, exploité artisanalement malgré les contrôles et les interdictions…Et surtout, les zones artisanales autorisées sont de plus en plus rares puisque les grandes sociétés raflent tout….
Au scandale géologique succède le scandale écologique
Colette Braeckman – Le Soir – le 4 février 2020
Lubumbashi, reportage
En guise de préambule, le professeur Arthur Tshamala Kaniki tient à nous faire visiter son laboratoire flambant neuf, inauguré l’an dernier et don de la Banque africaine de développement. Ici, tout se mesure, la qualité des sols, de l’air, de l’eau. « Même une poussière qui se dépose sur l’appui de fenêtre, je peux en déterminer la composition et surtout la provenance… » Chercheur attaché au département d’ingéniérie chimique de l’Université de Lubumbashi, Arthur Kaniki n’exprime pas seulement la fierté que lui inspire un labo aussi performant, il est avant tout un homme inquiet et lorsqu’il parle du Katanga, il se fait singulièrement alarmiste : « le « scandale géologique » si souvent mis en évidence est devenu un « scandale écologique », le niveau de pollution de la province est inimaginable. Dans les cours d’eau qui passent à proximité de Tenke Fungurume, de Likasi, il n’y a pratiquement plus de vie aquatique. Des particules fines se sont déposées dans presque tous les fleuves de la province, dans certaines rivières il y a des sédiments de 30 centimètres et on assiste à l’extinction totale de la faune et de la flore…Depuis toujours, mais aujourd‘hui à un rythme effréné, les entreprises multiplient les rejets et si, en principe, leur titre minier pourrait leur être retiré, en pratique cela ne se produit jamais. Aucun exploitant n’a jamais été frappé de déchéance. »
Depuis qu’il a les moyens d’analyser l’air, le sol, l’eau, d’examiner les plantes et leurs racines, le professeur est accablé par leur degré de contamination. Lorsqu’il a prélevé auprès des femmes enceintes du placenta, des cheveux et du sang, les traces métalliques découvertes lui ont permis de comprendre la cause des malformations congénitales qui se multiplient dans la province minière. Bébés macrocéphales, mains déformées, membres atrophiés, ces photos là sont un secret d’Etat et le seul fait d’avoir évoqué ces cas a valu au professeur d’être interrogé par l’ANR, les services de renseignements de l’Etat.
Stériles… Les remblais, les terrils où s’accumulent les résidus de l’activité minière sont qualifiés de « stériles », alors qu’en réalité, ils représentent une forte accumulation de matières diverses, dont certaines pourront encore être exploitées à l’avenir et qui s’avèrent, aujourd’hui déjà, extrêmement polluantes : « lorsque le vent souffle depuis la Gecamines en direction des quartiers résidentiels de Lubumbashi, ces derniers sont soumis à une pollution importante. Les polluants se dispersent dans le sol, dans les nappes phréatiques, imprègnent les légumes vendus sur les marchés, se déposent sur les lessives. Dans certaines rivières, le curage des sédiments révèle des teneurs en plomb de 28ml au lieu d’une moyenne de cinq… ».
Pour le professeur, « il faudrait entourer tous les remblais d’une géomembrane, qui empêcherait les poussières de voler, les eaux de se répandre dans le sol, mais aucune société ne prend de telles précautions, d’autant moins que les terrils peuvent encore être considérés comme des réserves potentielles… »
Les recherches du professeur Kaniki apporteront peut-être à Jean-Claude Baka,, représentant au Katanga de l’organisation des droits de l’homme Asadho la confirmation de ces craintes : « à l’hôpital de Likasi, dans la cité minière Kawama, j’ai moi-même constaté la multiplication des malformations congénitales, mains déformées, absence de nez, macrocéphalie, mais jusqu’à présent, il était impossible de démontrer la corrélation avec l’exploitation minière…Ce que je sais, c’est qu’à proximité de l’entreprise chinoise Kai Peng, à Likasi, le sol est chaud à cause des acides, les poissons élevés dans les étangs de pisciculture sont impropres à la consommation, le manioc et le maïs sont contaminés… A Kawama, les forages ont tari la nappe aquifère et les gens sont désormais privés d’eau potable… »
Les critiques les plus acerbes visent les entreprises chinoises : « elles ne respectent rien, à Luisha, Lwilu, Ruashi, elles ont confisqué le marché du cuivre et du cobalt, les gens disent même qu’elles déciment le peuple congolais… »
Dans l’enceinte des cliniques universitaires de Lubumbashi le chercheur Paul Musa, collaborateur du professeur Banza, travaille à l’unité de toxicologie de l’environnement, en partenariat avec la KUL et l’équipe du professeur Nemery.
Lui aussi relève les malformations congénitales, les concentrations élevées de cobalt dans les urines des enfants, le stress oxydatif et les atteintes à l’ADN des nouveaux nés. Quant aux poussières des remblais, il les retrouve dans les poumons, le sang, les matières fécales et travaille en ce moment sur les perturbations des fonctions érectiles, qui sont multipliées par quatre… Comme les autres chercheurs, il estime que la situation des artisans creuseurs est particulièrement alarmante : ils travaillent à mains nues, sans masques, ne sont pas aidés par des mutuelles de santé, ne passent pas de contrôles médicaux…
Officiellement, le site de Shinkolobwe, d’où fut extrait l’uranium qui permet aux Américains de produire la première bombe atomique est fermé. Verrouillé, étroitement contrôlé. Les scientifiques se gaussent de ce luxe de précautions : «en réalité, les radiations radioactives sont partout. Plus la teneur des minerais est élevée (et au Katanga elle est exceptionnelle) plus le taux de radioactivité est élevé… Même les camions qui traversent villes et villages diffusent des poussières radioactives. L’idéal, c’est de transporter les minerais par le rail, mais l’ancien gouverneur Moïse Katumbi, propriétaire d’une société de camions, a privilégié le transport routier…»
Cheveux blancs, peau flétrie, Papa Christophe a toujours vécu aux alentours de la mine de l’Etoile, la plus ancienne de Lubumbashi, exploitée aujourd’hui par Ruashi Mining. Il a tout connu, l’exploitation par l’Union minière, la mine noyée dans les années 50, la reprise par la société indienne Chemaf (Chemicals of Africa) puis par la chinoise Ruashi Mining, qui prit la relève des Sud Africains. Le vétéran insiste » ces terres nous ont été léguées par nos ancêtres qui savaient déjà comment exploiter le cuivre. Les croisettes du Katanga servaient de monnaie à travers toute l’Afrique, de l’Océan Indien jusqu’à la côte angolaise… Et nos artisans savaient comment travailler la malachite, y tailler des bijoux, des objets d’art, ce sont les prêtres qui le leur avaient enseigné… Mais aujourd’hui tout cela n’existe plus : les gros blocs de malachite sont broyés, lorsque nos creuseurs ramènent de l’hétérogénite, le cuivre qu’elle contient n’est même plus payé, seul compte le cobalt. Mais surtout depuis la reprise des activités minières, notre environnement est dévasté : jadis, autour de la mine, il y avait des gazelles, des lièvres. Les femmes avaient développé des cultures maraîchères, elles vendaient leurs légumes aux Blancs, on pêchait dans les rivières. Tout cela a disparu : les creuseurs sont traqués, les animaux ont disparu, les poissons sont morts. La terre, noire sur 40 centimètres de profondeur, est contaminée. Notre habitat lui-même est menacé : seul un fossé, souvent rempli d’eau saumâtre, sépare notre cité de la mine. Mais cette dernière avance sans cesse, les maisons sont démolies et le fossé creusé un peu plus loin… »
Sans présenter d’explication scientifique, Papa Christophe montre sa propre peau : des tâches blanches se multiplient, de nouvelles maladies apparaissent. Il assure que parmi ses voisins, la cataracte se répand, on l’appelle « la maladie des yeux opaques » et certains crachent le sang…
Il exprime, comme beaucoup de Congolais, une incurable nostalgie : « autrefois les entreprises minières avaient créé des aires protégées ; les Belges plantaient des arbres et respectaient l’environnement. Aujourd’hui il n’y a plus de reforestation et les engins miniers géants arrachent tout…
Ce pays a été corrompu jusqu’à l’os. Jusqu’au cœur de la nature… » Lorsqu’on lui parle de l’ « après mines » et du tourisme, le vieil homme éclate d’un rire amer : « mais il ne restera plus rien… »
La province du Lualaba vit et meurt au rythme du cobalt
Colette Braeckman – Le Soir – le 4 février 2020
reportage, Kolwezi
Fontaines lumineuses, pelouse taillée au cordeau, bancs publics, le rond point de l’Indépendance est le cœur de Kolwezi. Richard Mueyj le gouverneur de la nouvelle province de Lualaba (le Katanga de jadis est désormais découpé en quatre entités, le Haut Katanga, le Lualaba, le Haut Lomami et le Tanganyika) a des raisons d’en être fier. Des portraits grandeur nature et des têtes de bronze sculptées par le grand artiste Lyiolo ponctuent le parcours de la mémoire : tous ceux qui contribuèrent à l’indépendance du Congo voire à son existence même se retrouvent côte à côte. Ici, ni ostracisme ni souci du politiquement correct : Léopold II, le premier souverain de l’Etat indépendant du Congo ouvre la série, suivi par Joseph Kasa Vubu, le président de 1960, Patrice Lumumba son Premier Ministre, Moïse Tshombe qui, une fois terminée la sécession du Katanga, fut aussi Premier Ministre à Kinshasa, Mobutu Sese Seko bien sûr, Kabila père et fils et déjà Félix Tshisekedi, l’actuel chef de l’Etat. Même Dag Hammarskjold, le secrétaire général de l’Onu tué dans le crash de son avion au Katanga est présent, un peu en retrait…Richard Mueyj, historien de formation, tient à ce que les nouvelles générations soient conscientes de l’histoire déjà longue de leur pays, qui atteindra cette année le 60e anniversaire de son indépendance.
Aussitôt franchi le rond point, le souvenir s’interrompt et malgré les nouveaux bâtiments dont le gouverneur a doté sa jeune province (Assemblée provinciale, hôtel de gouvernement, auditoires universitaires flambant neufs), des constructions rendues possibles par la redevance minière, une autre réalité s’impose : Kolwezi, naguère capitale du cuivre, qui fit la prospérité de l’Union Minière puis de la société Gécamines jusqu’à l’effondrement de la mine de Kamoto, est aujourd’hui la capitale mondiale du cobalt. Associé au cuivre et au lithium, le minerai noir et rose est la composante essentielle des batteries électriques qui représentent l’énergie du futur. C’est ici, au cœur même de Kolwezi, que passe la veine de minerais longue, en territoire congolais, de 300 kilomètres et large de 30 qui, se prolongeant en territoire zambien, est connue comme la mythique Copperbelt, la « ceinture de cuivre » devenue désormais ceinture de cobalt. Un autre rond point, qui proclame « Bienvenue à Kolwezi » en lettres multicolores, rappelle cette réalité là : il est surmonté, lui, d’une excavatrice grandeur nature, la gueule ouverte comme un monstre prêt à engloutir la ville. C’est bien ce qui se passe : détenant 60% des réserves mondiales de cobalt, Kolwezi est, littéralement, dévorée par le pactole qui gît à quelques dizaines de mètres du sol.
Depuis que le monde s’est révélé affamé de cobalt et de lithium, bien décidé à concasser l’hétérogénite, un matériau mixte contenant du cuivre, de cobalt et du manganèse, Kolwezi, jour et nuit, vit et respire au rythme de la noria des camions à double essieu, confiés à des chauffeurs somaliens, éthiopiens, zimbabwéens. Emmenant à l’aller du matériel de chantier ou du carburant, et au retour 40 tonnes de sacs soigneusement empilés qui seront pesés sur des ponts bascule, ces camions, au rythme de 1500 par jour, descendent vers les ports de l’Océan Indien. De là, le précieux minerai sera embarqué en direction de la Chine où il sera entreposé avant d’être transformé en batteries électriques.
Pendant que les semi remorques, comme des monstrueuses limaces de métal, traversent la pluie et la boue, nimbées de poussière rouge, à Kolwezi, jour et nuit, on creuse.
Les « majors » du monde minier sont voraces, insatiables. La ville est entourée de cratères profonds comme des montagnes inversées ; à Kasese, où opère Glencore, des bataillons de gardes appartenant à la police des mines, vêtus de gilets orange, dispersent les intrus qui oseraient s’aventurer sur les flancs de la friable colline. Tout le long d’une chaussée asphaltée qui porte le nom de l’ancien président Kabila, les remblais hauts comme des dunes se succèdent, parfois protégés par des murs de briques que les maraudeurs ont brisé en maints endroits.
De mois en mois, dans le grondement des excavatrices géantes, les remblais avancent vers le cœur de la ville ; des quartiers entiers se disloquent, les habitants se voient proposer entre 1000 et 2000 dollars pour être délocalisés. Kasulo, l’un des plus anciens quartiers de la ville, fut l’un des premiers à être construit par l’Union minière pour loger ses travailleurs dans des petites maisons unifamiliales entourées de jardinets. Marcel Yabili, un avocat qui a ouvert un « musée familial » où les souvenirs de ses grand parents côtoient la « grande histoire » de la ville et du Congo, nous montre un document par lequel, en 1949, sa mère était priée de présenter son bébé à la « consultation des nourrissons » mise à la disposition des travailleurs de l’Union minière.
Ce paternalisme d’autrefois n’est plus qu’un souvenir, qui nourrit la nostalgie des plus anciens ; on sait aujourd’hui que l’Union minière, qui possédait de vastes territoires autour des mines, avait construit des cités ouvrières à proximité pour loger son personnel mais aussi pour préserver des sites potentiellement riches mais pas encore exploités.
En principe, Kasulo est aujourd’hui voué disparaître, les habitants ont été priés de déguerpir et les excavatrices de la société chinoise GCM grondent déjà de l’autre côté de la route. Cependant, si certains propriétaires initiaux ont vidé les lieux pour se réinstaller ailleurs, il y a toujours autant de monde à Kasulo. Des gens qui ont refusé de partir, des squatters qui campent dans les maisons abandonnées, des garçons venus du Kasaï qui ont tendu des toiles de bâche pour s’abriter de la pluie. Dans chaque jardin, des amas de planches cachent des trous profonds, des monticules de gravier s’appuient sur les haies ; au départ des latrines et des puits, des galeries ont été creusées à la pioche, elles étendent leurs ramifications sous les maisons et lorsque le plancher s’effondre, que la salle à manger disparaît dans un nuage de poussière, nul ne s’en étonne.
Kasulo, avant sa destruction par les inévitables bulldozers, est devenue une sorte de jungle urbaine. « Ici c’est chez nous » clament des garçons qui brandissent pelles et pioches et chassent les intrus. Expropriés hier, chassés demain, mais toujours conscients des droits qui accompagnent la propriété privée… Dans les cours et les jardins couverts de poussière, les femmes tamisent le minerai, les enfants jouent avec les sacs vides ou trient les pierres plus petites. A l’extérieur du quartier, des charrettes à bras ou des camionnettes attendent les sacs de minerai qui seront transportés vers les comptoirs d’achat, tous tenus par des négociants chinois.
A l’instar de Kasulo, d’autres lieux historiques, comme l’église de Marianopolis, qui date de la fondation de la ville, risquent d’être balayés eux aussi, comme des hôtels, des marchés : la veine de cobalt bat partout, il suffit de creuser, même à faible profondeur, pour la voir apparaître.
Dans ce nouvel Eldorado, ce Far west africain, on afflue de partout, la population explose. En 2002, la ville comptait 35 entreprises minières, elles sont près de 500 aujourd’hui et chaque jour, les bus, les motos déversent des jeunes venus du Kasaï, de l’Angola et même de Kinshasa, bien décidés à tenter leur chance. Des familles se serrent sous des tentes au pied des terrils et tout le monde, parents et enfants, part à l’assaut des remblais pour y glaner quelques fragments colorés. Nuit et jour creuse, on concasse les pierres zébrées de noir, de rose, de vert ; les femmes les brisent au marteau, les rincent dans les cours d’eau, les sacs s’entassent et disparaissent. Le gouverneur a beau s’inquiéter du désordre, du risque de tensions ethniques (il rappelle l’expulsion de 300.000 ressortissants du Kasaï au début des années 90) rien n’y fait, la ruée continue.
Abrités derrière leurs clôtures électrifiées, leurs bâtiments préfabriqués, les géants du monde minier évoluent loin du commun des mortels mais dans les supermarchés comme Jambo Market on trouve des vins sud africains, des nouilles indonésiennes, du riz thaï, des pasta italiennes, du poulet déjà préparé qui sera emmené dans les « compounds » de célibataires.
Quant aux Chinois, ils sont à la fois omniprésents et peu visibles. Omniprésents par leurs grandes sociétés, Sicomines, GCM et d’autres, par les cinq casinos plantés dans la ville avec leurs lampions bleus et rouges. Peu visibles car ils ne se mêlent pas réellement à la population congolaise et résident dans des « lieux de vie » dissimulés aux regards. Cependant, si tout le monde les connaît, si tout le monde se plaint d’eux, c’est à cause de leurs comptoirs d’achat, de leurs entrepôts et baraquements qui se succèdent à la sortie de la ville, en direction de Likasi et de Tenke Fungurume. Les bâtisses lépreuses qui s’alignent le long de la route principale et qui portent sur les murs les lettres magiques CU (pour cuivre) et CO (pour cobalt) sont des comptoirs d’achat où, pesés, jaugés, les sacs de minerais acheminés par les creuseurs attendront d’être entassés dans les remorques.
En compagnie du Ministre des Mines, nous découvrons des bureaux sommaires au fond des entrepôts : une chaise, une table, deux ou trois ressortissants chinois au visage protégé par des masques de gaze verte. Le ministre préfère se gausser : « alors que je pèse 90 kilos, si je me mets sur la balance d’un Chinois, je ne pèserai plus que 60 kilos. « Les creuseurs ne trouvent pas cela drôle : dénonçant les balances truquées, ils désignent la petite télécommande dont le commerçant ne se départit pas et assurent que c’est à partir de là qu’au départ la mesure est faussée. Ils montrent aussi l’appareil dit Metorex, qui détermine la teneur des minerais proposés et déclarent que là aussi les résultats sont trafiqués…Norbert Salenga, membre de la coopérative ATRAM ((alternative de transformation de l’artisanat minier) nous explique combien les creuseurs artisanaux se retrouvent sans défense : « extraire une tonne de minerai, cela occupe cinq personnes, pendant une semaine. Mais les Chinois nous déduisent 14% de taux d’humidité, plus la poussière et après le pesage, il ne reste plus que 800 kilos, payés 150 dollars. Une somme à diviser entre les membres de l’équipe… En outre, ils ne paient généralement que le cobalt, le, reste, cuivre et autres métaux, n’est pas pris en compte… »
Papy Nsenga, travaille à Lenge, à 80 km de Kolwezi, où se trouvent 16.000 creuseurs artisanaux. Lorsque le gouverneur évoque l’ « après mines », le tourisme, l’agriculture, il fait la sourde oreille : « être creuseur, c’est mon choix. J’aime cela. Parfois nous avons de bonnes surprises et nous tombons sur des teneurs élevées. C’est en creusant que j’ai pu payer mes études. Ce que j’aime aussi, c’est que dans la mine, on ne pose pas de questions. Peu importent les origines, les diplômes, que vous soyez universitaire ou soldat démobilisé. Lorsque, avec marteau, pieds de biche, pointeau, nous formons une équipe de cinq personnes, nous devenons comme une famille, solidaires, unis. Ceux qui atteignent la couche minéralisée sont considérés comme les patrons, les autres étançonnent avec des planches de bois, des sacs de sable…Bien souvent, ce sont les creuseurs qui découvrent les nouveaux gisements. La mine, c’est aussi l’ambiance, il y a de la musique, les femmes préparent des repas, on se sent en famille…C’est mon métier, c’est la richesse de mon pays, pourquoi vouloir nous chasser pour installer de grandes sociétés ? »
Face aux acheteurs chinois les Congolais se sentent impuissants : «on les appelle les « beaux frères », car la rumeur assure que Kabila aurait une femme chinoise et que, en en tous cas, il les protège. D’ailleurs à chaque contestation, les Chinois appellent la garde républicaine (jadis au service de l’ancien président) et cette dernière les défend. »
Humiliés, les creuseurs rapportent la phrase clé que les négociants chinois leur assènent invariablement en cas de litige : « nous avons déjà payé vos autorités, nous les avons dans la poche ».
Premier anniversaire d’une cohabitation difficile
Colette Braeckman – Le Soir – le 4 février 2020
Gina Kabamba, 26 ans, fonctionnaire à la DGM (division des migrations) à l’aéroport de N’Djili serait elle devenue, bien malgré elle, le symbole du changement sinon l’incarnation d’une cohabitation difficile ? Deux « poids lourds » du régime précédent, l’ancien ministre de l’Intérieur Shadary Ramazani, secrétaire général du PPRD, le parti de Kabila, qui fut aussi le dauphin malheureux du président sortant, et Marcellin Cishambo, l’ancien gouverneur du Kivu et ancien conseiller diplomatique du chef de l’Etat se sont vus empêcher de prendre l’avion alors qu’ils se préparaient à se rendre à Bujumbura : leur passeport n’était tout simplement pas en règle !
En fait, les deux hommes avaient exhibé des passeports diplomatiques, délivrés en vertu de leurs fonctions précédentes mais que Gina Kabamba estima non valables. Polie mais ferme, la jeune fonctionnaire avait apostrophé les deux dignitaires : « pourquoi ces passeports illégaux ? Avec respect, vous n’êtes plus Vice Premier Ministre et votre ami n’est plus gouverneur du Sud Kivu…Messieurs, les choses ne sont plus comme avant… » Malgré les protestations des deux voyageurs peu habitués à un tel traitement, la jeune femme demeura inflexible : « ici c’est moi qui commande et je fais mon boulot ; je sers le pays et non un individu, le temps des ayant droits est passé… »
Cet incident mineur, tellement banal pour tant de voyageurs, a été largement diffusé sur les réseaux sociaux et commenté dans l’opinion : s’agit il d’une simple péripétie, ou de la confirmation d’une « guérilla » au sein de la cohabitation entre deux groupes politiques, le CACh (Coalition pour le changement) qui soutient le président Tshisekedi et le FCC (Front commun pour le Congo), qui, au nom de Kabila, contrôle l’Assemblée et le Sénat ?
Même si à Kolwezi, capitale de la province du Lualaba, le gouverneur Richard Mueyj a fait dresser de larges panneaux saluant, au nom de «Kabila for ever » la cohabitation « pacifique » avec Félix Tshisekedi, la tension entre les deux groupes est palpable et le premier anniversaire de cette transition négociée est célébré avec des sentiments mélangés.
En effet, alors que, pour autant que l’on sache, les relations personnelles entre Félix Tshisekedi et Joseph Kabila demeurent excellentes et les contacts fréquents, les escarmouches se multiplient. En effet, multipliant les voyages à l’étranger (le Vatican, Davos, Londres en l’espace d’une semaine) Félix Tshisekedi n’est pas seulement le plus globe trotter de tous les présidents du Congo, il subit aussi les conseils sinon les injonctions de ses nombreux interlocuteurs qui le somment de prendre des distances avec son prédécesseur sous peine de perdre sa crédibilité sinon leur soutien. En outre, relayant d’autres pressions, la Commission des affaires étrangères du Sénat américain a demandé au président d’enfin traduire en justice les auteurs de crimes économiques, tandis que de nombreuses voix dont celle du Docteur Mukwege réclament la fin de l’impunité pour les crimes commis par des officiers de haut rang, toujours en poste, entre autres sur le front de Béni.
Se voulant rassurant, le chef de l’Etat multiplie les promesses lorsqu’il se trouve à l’étranger et à Londres il n’a pas hésité à menacer de « virer » ceux de ses ministres qui pourraient saboter son action. Mais au pays, il est confronté à une guérilla de plus en plus dure entre les deux forces qui l’ont porté au pouvoir.
C’est ainsi que la présidente de l’Assemblée nationale, Jeanine Mabunda a sèchement recadré le chef de l’Etat, qui avait menacé de dissoudre l’institution parlementaire, et elle n’a pas hésité à brandir la menace d’une destitution pour « haute trahison ». A toutes fins utiles, avant de célébrer le premier anniversaire de la « cohabitation »’ les membres des FCC ont été convoqués d’urgence dans la ferme de Joseph Kabila, à Kingakati près de Kinshasa.
Le partenaire d’en face n’est pas resté inactif lui non plus : si l’on manque de respect au président, « les gens vont nager » a déclaré le secrétaire général de l’UDPS, Augustin Kabuya, et venues des cadres de l’UDPS, le parti de Tshisekedi, les menaces se multiplient…
A fleurets mouchetés, on semble se diriger vers une épreuve de force et chacun, discrètement, compte ses atouts. Si i le président sortant Joseph Kabila contrôle toujours l’armée et le Parlement, sans oublier sa force financière, Félix Tshisekedi n’est pas démuni pour autant : la population semble avoir oublié les circonstances de son élection contestée et elle le crédite encore d’une évidente légitimité. Mais cette dernière, sous peine de s’éroder, doit aussi se fonder sur des éléments concrets : à cet égard, si la mesure de gratuité de l’enseignement primaire a représenté un grand coup politique (malgré les grèves et les protestations au sein de l’enseignement catholique) et si le climat de liberté est unanimement apprécié, tout le reste, c’est-à-dire le « social », demeure à construire. La présidente de l’Assemblée Jeanine Mabunda a frappé juste lorsqu’elle a évoqué la «douleur sociale » qui frappe toujours ses compatriotes.
Mais Gina Kabamba, à N’Djili, a peut –être involontairement, donné un signal important : le temps des passe droits se termine. Les artisans mineurs chassés de leurs zones d’exploitation, les élèves qui devaient quitter l’école tête basse, les petits propriétaires expropriés, les millions de citoyens sommés de « coopérer » avec des administrations corrompues n’ont pas –encore-perdu espoir. S’il restreint un peu ses voyages pour mieux s’atteler aux affaires du pays, Félix Tshisekedi garde encore des chances… A Kolwezi, le gouverneur du Lualaba Richard Mueyj, ancien Ministre de l’Intérieur de Kabila, prêche le calme : « nous devons apprendre à vaincre la peur, rétablir le pont de la confiance, regarder ensemble dans la même direction… Personne ne nous pardonnerait un éventuel dérapage… »
L’OMS rattrapée par l’«Ebola business»
Emmanuel Freudenthal et Joao Coelho – Les Observateurs (CH) – le 06.02.2020
L’an dernier déjà, des médecins et agents de santé de l’OMS avaient défilé sous escorte à Butembo, dans l’est du pays, pour protester contre des attaques les prenant pour cibles.
L’épidémie d’Ebola, apparue en août 2018, a déjà fait plus de 2238 morts, principalement en République démocratique du Congo. A Béni (nord-est), Christian Bada et son équipe sont chargés de décontaminer ces lits, vêtements et autres surfaces potentiellement souillés par le virus. A l’instar d’autres équipes, celle de Christian Bada est l’une des pièces d’une grande machine qu’on appelle la Riposte, dont l’objectif est de stopper la progression du virus Ebola. L’opération, dont le budget dépasse les 800 millions d’euros, est codirigée par le Ministère de la santé congolais et l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
«C’est de la folie»
Des violences contre des équipes de la Riposte, la RDC en recense près de 300 depuis le début de l’épidémie. Une dizaine d’agents de santé y ont même laissé leur vie. A l’origine de certaines de ces attaques, une population qui reproche aux agents de santé de profiter de l’épidémie Ebola pour s’enrichir aux dépens de la population. Des magouilles et autres petits arrangements qualifiés localement d’«Ebola business».
L’OMS souligne que cette accusation est bien à la source de certaines des attaques contre la Riposte. Mais elle insiste : l’Ebola business n’est qu’une rumeur. Pourtant, des courriels et des documents que Libération a pu se procurer prouvent le contraire. Certains employés de la Riposte ont utilisé leur fonction pour s’enrichir, en bafouant les règles déontologiques de l’OMS. Selon plusieurs employés de l’OMS, qui parlent sous couvert d’anonymat, l’ampleur des détournements d’argent du côté de la Riposte a atteint des niveaux inégalés. «C’est de la folie», dit l’un d’eux. Et un employé de l’OMS d’ajouter : «La Riposte au Congo ? C’est un gros business. Tous en profitent… Sauf les patients.»
Véritable
fortune
Au centre dudit Ebola business : quelque 700 voitures qui transportent les équipes de la Riposte et dont le coût des locations est facturé près de 2 millions de dollars (1,8 million d’euros) par mois à l’OMS. Mais voilà, certaines de ces voitures sont la propriété de personnes travaillant pour la Riposte. Certains d’entre eux parviennent à gagner 3 000 dollars par véhicule et par mois. Une véritable fortune dans un pays où le revenu moyen mensuel ne dépasse pas l’équivalent de 50 euros.
Libération s’est
procuré des documents internes à l’OMS qui prouvent que certains
de ces propriétaires de voitures louées à la Riposte sont
fonctionnaires du gouvernement congolais, membres des forces de
sécurité ou employés du ministère de la Santé. Tous sont censés
lutter contre Ebola.
Ce conflit d’intérêts,
cet appât du gain financier, va à l’encontre des
règles de l’OMS. D’après un ancien gestionnaire du parc
automobile de l’OMS, qui préfère rester anonyme, pas moins
de 30% des voitures louées par
l’organisation appartiennent à des personnes travaillant
pour la mission internationale de lutte contre le
virus Ebola pilotée par l’OMS.
«Ce n’est pas acceptable», dit le docteur Michel Yao, qui coordonne la réponse Ebola pour l’OMS. Si des personnes travaillant pour la Riposte louent leurs véhicules à l’OMS alors elles «ne peuvent plus accomplir leur tâche avec toute la probité nécessaire», déclare-t-il. Il dit ne pas être au courant de tels cas. Mais il concède qu’il est «impossible d’être sûr à 100%». Il assure que, le cas échéant, l’OMS «fera une investigation, puis on prendra les sanctions qui s’imposent immédiatement». A plusieurs reprises, nous avons tenté de joindre l’OMS, qui n’a pas souhaité répondre.
Le docteur Jean-Christophe Shako est l’une de ces personnes qui est à la fois loueur de véhicule et employé de la Riposte. Des journaux américains, japonais
Mais de
décembre 2018 à mars 2019, selon les registres de
l’OMS que Libération s’est procuré, le docteur Shako
louait aussi son 4×4 à l’OMS. Interrogé par téléphone,
il se défend d’être impliqué dans ce commerce. Il a d’abord
déclaré qu’il n’avait pas mis sa voiture en location. Ensuite,
que c’était son frère jumeau qui en était le propriétaire. «Moi
je suis Shako Lomami et mon jumeau c’est Lomami Shako», dit-il.
Il précise aussi que son jumeau travaillait à la clinique Graben à
Butembo. Après vérification, personne ne connaît ce Lomami Shako
du côté de Graben.
«Prix hors règles»
L’OMS, qui dit ignorer ces petits arrangements entre amis haut placés, était en réalité parfaitement informée de ces conflits d’intérêts à répétition. Des mails venant de l’organisation internationale et datant de février 2019 font mention du petit commerce du docteur avec son 4×4 Toyota Prado : «Propriétaire Lomami Shako Jean, donc le coordinateur du ministère de la santé», écrit un logisticien de l’OMS dans une correspondance envoyée à une demi-douzaine de collègues. «On le loue en dehors de toute règle et pour un prix également hors règles», poursuit-il. De quoi rapporter quelque 9 700
Tandis que le médecin loue son véhicule privé, l’OMS met des voitures de fonction à sa disposition. L’une de ces voitures utilisées par le docteur Shako, une Toyota Land Cruiser, est en réalité la propriété d’une autre figure incontournable de la lutte contre Ebola : Blaise Amaghito. Ce dernier est le responsable de la sécurité de la Riposte à Butembo.
Il y est aussi chef de l’Agence nationale de renseignements dont le rôle dans la Riposte est de retrouver les malades d’Ebola lorsqu’ils s’échappent et risquent de contaminer la population. Difficile donc pour la Riposte de lui refuser une faveur. Selon les documents de l’OMS, Amaghito a encaissé 92 260 dollars pour la location de sept voitures entre décembre 2018 et juin 2019. Une somme astronomique dans le contexte économique local.
Joint au téléphone, Blaise Amaghito réfute en bloc toutes ces accusations. «Posez la question à la coordination [OMS], moi je n’ai pas de véhicules là-bas [loués à l’organisation, ndlr]», dit-il avant de raccrocher brusquement
«Allongé
dans la rue»
Pour se remplir les poches, certains n’hésitent pas à utiliser des prête-noms. C’est notamment le cas du maire de Butembo, Sylvain Kanyamanda Mbusa qui«recommandait beaucoup de véhicules»d’après Jacques (1) un logisticien de l’OMS, confirmant les dires de plusieurs de ses collègues. Le nom de Sylvain Kanyamanda Mbusa n’est visible sur aucun des documents de l’OMS. Lui aussi nie avoir loué ses voitures à la Riposte.
Jacques
raconte que lorsqu’une voiture ne passait pas le contrôle
technique de l’OMS, le docteur Boubacar Diallo,
chef de l’OMS à Butembo, disait : «C’est la
voiture de telle personne, il faut la prendre.» Qu’importe si
certaines de ces voitures ainsi«recommandées» risquaient de
mettre en péril la vie de ses occupants, poursuit Jacques.
Difficile
de refuser l’agrément à des voitures appartenant à «de gros
poissons» ?«Si tu refusais le véhicule, il pouvait tout te
faire, dit-il. On pourrait te retrouver le lendemain
allongé dans la rue. On était obligés de céder.» Boubacar Diallo
a refusé de répondre à nos questions concernant la location
de véhicules, mais nous a écrit dans un courriel
le 9 novembre 2019 : «Je ne suis au courant
d’aucune corruption.»
Employés, expatriés ou locaux, tous ont peur de révéler les malversations qui gangrènent la Riposte. «Si des gens savent que je parle à un journaliste, je perdrais mon travail», dit Jean-Michel (1), un employé congolais chargé de faire le suivi des personnes guéries de la maladie. Il gesticule nerveusement sur sa chaise en plastique en racontant son embauche.
«Ça
marchait déjà comme ça avant Ebola»
«L’infirmier
titulaire de Madrandele [un quartier de Beni,
ndlr] m’a appelé pour me dire qu’il avait un travail pour
moi. Arrivé à son bureau, il m’a fait comprendre que pour être
recruté, je devrais lui reverser chaque mois au moins 30% de ma
rémunération. C’était direct !» D’après une vingtaine
de travailleurs interrogés dans les principaux foyers de l’épidémie,
la méthode est rodée.«Si tu veux un emploi, tu dois faire une
opération retour à celui qui t’embauche», se désole un
autre employé de la Riposte.«Tout est opération retour ici ! Ça
marchait déjà comme ça avant Ebola», poursuit-il.
Même amputés de cette rétrocommission, ces postes restent une aubaine. Avant l’apparition du virus Ebola, le médecin d’un centre de santé à Butembo touchait environ 100 dollars par mois. Aujourd’hui, un hygiéniste qui asperge d’eau chlorée les chaussures à l’entrée du même centre de santé en gagne 300. De quoi générer des jalousies au sein de la population et nourrir les accusations d’Ebola business.
Patrick
(1), la quarantaine, est accoudé à une table en plastique bleu.
Depuis qu’il travaille à la Riposte, il ne se sent plus en
sécurité dans son quartier. «Les gens disent que nous sommes
en train de consommer l’argent d’Ebola et cela nous met en
danger,se désespère ce père de famille. Si la Riposte nous
avait dit de travailler gratuitement pour notre communauté, nous
l’aurions fait ! C’était une grosse erreur dans
l’éradication de cette épidémie. Pour impliquer quelqu’un, il
ne faut pas lui promettre quelque chose. Il risquera de faire de
cette épidémie un marché de fonds.» Le regard lointain,
il soupire : «L’insécurité ne finira jamais ici.
Demain, un conflit post-Ebola éclatera à cause de tout
ça.»
(1) Les noms ont été modifiés pour la sécurité des
sources.
Délégation belge en RDC: « Nous souhaitons raffermir nos relations avec le pays Congo » déclare Sophie Wilmès
RTBF – le 06 février 2020
Une délégation du gouvernement fédéral est en mission en République démocratique du Congo ces deux prochains jours. La Première ministre Sophie Wilmès est accompagnée des ministres de la Coopération au développement, Alexander De Croo et du Commerce Extérieur, Pieter De Crem.
Une rencontre avec le président Tshisekedi est prévue ce matin, à Kinshasa, et demain, la délégation se rendra au Consulat général de Belgique à Lubumbashi, de nouveau opérationnel depuis peu, pour procéder à une ouverture solennelle. Une rencontre qui se déroule dans un contexte où les tensions politiques en RDC sont perceptibles au sein de la coalition gouvernementale, formée avec le FCC, le camp de Joseph Kabila, qui contrôle le parlement.
Comment la Belgique se positionne-t-elle par rapport à ces tensions en RDC ? Le pays reste attentif, assure la Première ministre. « C’est vrai qu’il s’agit d’un gouvernement de coalition, qu’il y a des tensions que l’on peut observer, et on sera très attentif aux évolutions des choses, c’est fondamental. Ce qui compte pour nous, je pense, au niveau belge, principalement, c’est de travailler dans l’intérêt de la population congolaise, avec le pays Congo, qui est celui avec lequel nous souhaitons raffermir nos relations. Et surtout, un point très important, nous ne sommes ici que depuis quelques heures, et en quelques heures, on a déjà pu rencontrer un nombre important d’acteurs économiques déjà présents ici au Congo, qui ont quand même une connaissance fine du terrain. Ils avaient un mot commun, c’est qu’il y a un changement drastique, fondamental, dans l’approche qui est faite aujourd’hui par rapport à hier, de ce gouvernement sur l’investissement étranger et sur l’investissement belge et sur la capacité de nos deux pays à créer ce relationnel plus fort. »
Lors de la visite en Belgique de Felix Tshisekedi en septembre dernier, le gouvernement belge s’était montré prudent et réclamait des engagements de la part du président congolais alors fraîchement élu, notamment dans sa volonté d’instaurer un État de droit. Le gouvernement Michel avait décidé de tourner la page des résultats électoraux jugés frauduleux : on parlait de « neutralité bienveillante ». La Première ministre s’aligne sur le ton qui avait été donné par son prédécesseur. Si certaines parlent de prudence, Sophie Wilmès, parle elle, de détermination.
« Comme dans toute relation qui redémarre, il y a toujours une certaine prudence qui doit persister. Mais avant la prudence, il doit y avoir une détermination, la détermination de part et d’autre que ça fonctionne à nouveau bien. On sait de notre histoire que nous sommes en capacité au niveau belge et au niveau congolais d’entretenir ensemble des relations privilégiées, et c’est cet agenda que l’on veut inscrire et c’est pourquoi nous sommes ici aujourd’hui. »
En ce moment, les tensions politiques en RDC sont perceptibles au sein de la coalition gouvernementale… une coalition formée avec le FCC, le camp de Joseph Kabila, qui contrôle le parlement. Malgré l’instabilité politique, et le fait que la gestion des finances publiques en RDC reste préoccupante, la Belgique veut montrer qu’elle se positionne comme un partenaire privilégié, devant la Chine, les États-Unis ou la Grande-Bretagne. « Je pense que l’erreur de jugement ou d’analyse serait d’en faire une compétition. La Belgique a une histoire particulière avec le Congo qui est reconnue de part et d’autre et qui fait que c’est une plus-value qui rend un avantage comparatif énorme. Et cette plus-value s’inscrit surtout dans la relation d’affection qu’il y a entre nos deux pays. »
Et de faire ce parallèle entre les deux gouvernements, congolais et belge : l’un qui est en crise, en proie à des blocages provenant de chaque camp et le nôtre qui est en affaire courante, et qui n’a pas de marges de manœuvres… Mais qui montre qu’il travaille.
« Évidemment, on essaye — et on en a fait la démonstration — de pouvoir assurer cette transition pendant les affaires courantes, commente la Première. C’est une première chose. La deuxième chose, c’est que les affaires courantes n’empêchent pas la représentation de la Belgique au niveau international. Les affaires courantes ne nous empêchent pas non plus de réaffirmer notre engagement vis-à-vis du pays du Congo, qui est, je pense, cher aux yeux de nombre de nos concitoyens aussi. Ces affaires courantes s’inscrivent donc dans la continuité de l’État, l’État qui s’engage au niveau de la relation vis-à-vis du Congo, mais qui, il est vrai, aura du mal à matérialiser par des nouveaux engagements objectifs immédiats tant qu’il sera en affaires courantes. Mais la Belgique, c’est aussi la capacité d’assurer la continuité de l’État après les affaires courantes. Je n’ai aucun doute sur le fait que le prochain gouvernement aura à cœur de continuer dans cette voie engagée. »
« Nous ne pouvons pas oublier le passé », déclare Sophie Wilmès en visite en RDC
RTBF – le 07 février 2020
La Première ministre Sophie Wilmès s’est montrée ce jeudi favorable au développement d’un partenariat belgo-congolais, à l’issue d’une rencontre à Kinshasa avec le président de la République démocratique du Congo (RDC), Félix Tshisekedi.
« Mais nous ne pouvons pas aussi oublier le passé », a-t-elle affirmé à l’issue de l’audience accordée par le chef de l’Etat au Palais de la Nation.
Félix Tshisekedi n’a pas fait de commentaire.
« Le partenariat belgo-congolais peut se développer sur plusieurs secteurs. Il y a un partenariat qui peut se développer au niveau militaire, économique, policier, renseignements, justice et principalement en termes de formation. On a un savoir-faire en Belgique, si le Congo nous demande nous serons ravis de pouvoir partager », a déclaré Sophie Wilmès.
Selon elle, l’entretien a porté sur la coopération au développement, l’état de droit, les droits de l’Homme et le climat des affaires.
La Première ministre a eu une rencontre en tête-à-tête avec le président, avant que l’entretien ne s’élargisse, lors d’une séance de travail, au ministre de la Coopération au développement, Alexander De Croo, et au ministre de l’Intérieur et du Commerce extérieur, Pieter De Crem.
Relation d’égal à égal
« La Belgique est attachée à développer des relations bilatérales fortes avec le Congo dans toutes ses composantes », a déclaré Sophie Wilmès à la presse à la sortie de son tête-à-tête avec le président Tshisekedi.
La Belgique souhaite être un partenaire dans une relation franche, bienveillante, d’égal à égal, en vue des succès pour les deux pays, a souligné la cheffe du gouvernement fédéral.
« Le partenariat belgo-congolais peut se développer sur plusieurs secteurs », a-t-elle ajouté, citant les domaines militaire, économique, policier, du renseignement, de la coopération et de la justice.
La visite de Sophie Wilmès « est perçue comme un signal fort du retour de la coopération entre la RDC et la Belgique », a pour sa part indiqué la présidence congolaise.
D’autres échéances sont prévues dans le rétablissement des relations entre la RDC et son ancienne puissance coloniale.
Une mission économique rassemblant quelque 150 entreprises est prévue fin mars.
Et le 30 juin prochain, la RDC célèbrera le 60e anniversaire de son accession à l’indépendance, avec sans doute une invitation adressée aux autorités belges à participer aux commémorations.
Rencontre avec le chef du gouvernement congolais
La visite à Kinshasa d’une importante délégation belge dirigée par la Première ministre Sophie Wilmès constitue le début d’une « nouvelle ère dans l’histoire commune de nos deux pays », a affirmé le chef du gouvernement congolais, Sylvestre Ilunga Ilunkamba, à l’issue d’une rencontre entre des membres des deux gouvernements.
Sophie Wilmès a pour sa part souligné lors d’une brève déclaration la place particulière que la République démocratique du Congo (RDC) occupe dans la politique étrangère belge.
« Nous avons pu entendre le programme ambitieux qu’il (le gouvernement de RDC) s’est donné au bénéfice de la population. Et à ce titre, la Belgique en tant que partenaire dans un dialogue franc et bienveillant souhaite prêter assistance à ces réformes qui sont particulièrement ambitieuses », a ajouté Sophie Wilmès.
« On a parlé de la pacification du territoire, des droits humains, de la condition de vie des citoyens, du climat des affaires. Ceci dans un climat favorable pour nos relations bilatérales », a-t-elle poursuivi, soulignant que le gouvernement actuel « est le résultat d’une alternance pacifique ». « On sait en Belgique à quel point les gouvernements de coalition ne sont pas toujours simples à réaliser », a-t-elle indiqué.
Elle faisait allusion aux tensions apparues au sein de la coalition au pouvoir à Kinshasa, issue d’un accord de partage du pouvoir entre le Front commun pour le Congo (FCC), la plateforme de l’ancien chef de l’Etat Joseph Kabila Kabange, qui domine la vie politique congolaise, et Cap pour le changement (Cach, la coalition du président Antoine Félix Tshisekedi Tshilombo).
La Première ministre a parlé de sa visite comme d' »une première étape d’une longue coopération retrouvée ».
Affaires courantes
Elle a admis que son gouvernement était en affaires courantes, démissionnaire et minoritaire. « Mais cela ne nous empêche pas de préparer le terrain pour le prochain gouvernement », a-t-elle dit.
« Nous remercions sincèrement la Première belge d’avoir fait le déplacement à Kinshasa. Comme vous le savez la République démocratique du Congo a une longue histoire avec la Belgique. Les relations sont confortantes entre les deux pays. Nous avons eu des échanges fructueux entre les deux délégations. Les questions d’intérêts communs ont été évoqués », a souligné M. Ilunga.
Il a qualifié son entretien avec la délégation belge d' »échanges francs, riches et fructueux ».
Auparavant, la délégation belge s’était rendue à l’Ambassade de Belgique. Une rencontre a eu lieu avec différentes ONG : Avocats sans frontières, CNCD 11.11.11, La Lucha,…)
Sophie Wilmès et Alexander De Croo ont reçu des versions personnalisées de Tintin au Congo.
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© Dialogue, le samedi 08 février 2020