Droits de l’homme : malgré quelques avancées, le bilan d’Amnesty International sur la RDC est mitigé (CongoForum)
KINSHASA – Une année après l’arrivée au pouvoir du président Félix Tshisekedi, Amnesty International reconnaît quelques avancées significatives. Néanmoins, beaucoup d’autres choses n’ont pas bougé et maintiennent le peuple dans l’attente.
Après une longue période de crise politique relative à l’alternance au sommet de l’Etat, la République Démocratique du Congo (RDC) est parvenue, tout de même, à une passation pacifique de pouvoir entre Joseph Kabila et Félix Tshisekedi. Une issue contestée par Lamuka, la plateforme du candidat malheureux à l’élection présidentielle de 2018, Martin Fayulu.
Dans le paysage politique actuel, où le président congolais est obligé de coaliser avec le Front Commun pour le Congo (FCC) dirigé par son prédécesseur, tout ne semble pas être sur les rails selon la vision de Félix Tshisekedi qui a fait la promesse de faire du pays, un état de droit, lors de sa campagne électorale.
Cette coalition limite la capacité de l’actuel président à amorcer des réformes annoncées dans plusieurs domaines, notamment, la justice. C’est dans ce contexte que le rapport 2019 d’ Amnesty International a été publié.
Violences et violation des droits humains
Le rapport annuel 2019 d’Amnesty International restitue que jusqu’ici les populations congolaises, notamment à l’Est, continuent à être victimes de violences et de violation de leurs droits. En décembre 2019, 1.500 civils ont été tués, plusieurs milliers ont été blessés et un million de personnes ont été soumis au déplacement forcé dans les provinces du Maï-Ndombe, du Nord-Kivu et du Sud-Kivu. Par ailleurs, de nombreuses populations civiles ont été victimes de violation de leurs droits par les groupes armés ainsi que les forces de sécurité, sans en être inquiétés.
L’impunité fait peau dure
Amnesty International reconnait, dans ce rapport, que certains auteurs d’atteintes aux droits humains ont été déférés tout de même à la justice. Par contre, l’organisation dénonce le fait que plusieurs hauts responsables du pays, soupçonnés de graves violations des droits humains, continuent à circuler librement et ont bénéficié de postes importants dans les institutions nationales ainsi que dans les services de sécurité.
Par ailleurs, rien n’est fait de concret, en direction des auteurs des massacres et violations perpétrés dans le pays. Au Nord-Kivu, aucune suite donnée au mandat d’arrêt émis contre Guidon Shimiray Mwisa, le chef de la milice Nduma Defence of Congo-Rénové (NDC-R) pour meurtres, viols massifs et recrutement d’enfants. Apparemment, les autorités compétentes n’ont pas concentré leurs actions pour exécuter ce mandat d’arrêt car ces milices continuent à sévir dans cette province.
En outre, il y a le procès de Ntabo Ntaberi Sheka, qui est sans cesse repoussé sans aucune raison expliquée. Le chef de milice issue de NDC est le présumé auteur de crimes, tels que le viol de centaines de femmes, hommes et enfants en 2010.
Des casse-têtes
Parmi les cas évoqués dans le rapport, il y a celui de Gédeon Kyungu qui continue à courir au Katanga. Celui qui s’est toujours livré au jeu de narguer les autorités congolaises fait en ce moment objet de traque ordonné récemment par le président Tshisekedi. Ce repris de justice de 2011 et qui s’était rendu en 2016, doit répondre des crimes commis par ses miliciens qui ont marché, le 28 mars 2020, sur Lubumbashi et Likasi. Comme bilan, 2 policiers blessés et 31 miliciens abattus. Jusqu’ici Gédéon Kyungu, qui s’est échappé de sa résidence surveillée, reste introuvable.
Enfin, il y a Bosco Ntaganda et Sylvestre Mudacumura. Le premier a été condamné à 30 ans d’emprisonnement par la Cour pénale internationale (CPI). Il a été reconnu coupable de crimes de guerre et crimes contre l’humanité en Ituri en 2002 et 2003. Pour sa part, Sylvestre Mudacumura, le chef militaire des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), tué, selon l’armée congolaise en 2019, ne pourra plus être jugé. Ce milicien était sujet à un mandat d’arrêt lancé par la CPI en 2012 pour des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité.
Décrispation politique et liberté d’expression
Amnesty International s’est montré plus positif sur la décrispation et la liberté d’expression sous le nouveau pouvoir de Kinshasa. « En mars, les autorités ont annoncé que plus de 700 personnes avaient été libérées de la prison et que tous les lieux de détention illégaux gérés par l’Agence nationale de renseignements (ANR) avaient été fermés sur ordre du président Tshisekedi. Parmi les personnes libérées, certaines avaient été emprisonnées pour délit d’opinion et d’autres se trouvaient depuis longtemps en détention arbitraire », peut-on lire dans ce rapport.
Il faut noter que parmi les victimes de l’intolérance de l’ancien régime, il y avait des militants, des opposants politiques et des journalistes. Tous ces indésirables sont aujourd’hui, soit libéres ou rentrés au pays, au nom de la décrispation politique. C’était la toute première mesure du président Tshisekedi en vue de rendre effective la liberté d’expression au Congo. Par ailleurs, l’accès aux médias et la liberté de réunion sont également garanties, malgré quelques ratés çà et là.
A cet effet, les auteurs de ce rapport ont écrit : « Cependant, les autorités civiles et la police ont continué d’interdire et de réprimer violemment, en toute impunité, des manifestations et des rassemblements pacifiques. Les pouvoirs publics ont instauré l’obligation d’obtenir une autorisation préalable pour la tenue de manifestations, en violation des dispositions de la Constitution ». 35 manifestations ont été interdites en 2019 et 90 manifestants ont été blessés. « En juin, au moins un manifestant est mort à Goma, dans l’est de la RDC ; touché par une balle ». En juillet, le gouverneur de Kinshasa a interdit une manifestation contre la nomination d’Alexis Thambwe à la présidence du Sénat. Dans la même lancée, « en août, des policiers ont utilisé la violence pour empêcher la tenue d’un rassemblement en faveur de l’UDPS, organisé pour dénoncer la corruption du gouvernement et promouvoir une bonne gouvernance ».
Certains droits fondamentaux sont restreints
Le droit à la santé peine d’être effectif à cause de financement insuffisant. « Selon l’Organisation mondiale de la santé, les épidémies d’Ebola, de rougeole et de choléra ont fait respectivement au moins 1.680, 5.000 et 260 morts. Quelque 310.000 personnes ont été infectées par la rougeole et 12.000 par le choléra ».
Pour ailleurs, le droit à la dignité continue d’être violé. Selon Amnesty International, les conditions de détention sont exécrables et plus de 100 personnes sont mortes de faim, de manque d’eau potable ou de soins médicaux adéquats. Cette organisation, affirme par ailleurs, que les prisons sont surpeuplées et mal entretenues.
Enfin, les droits des peuples autochtones sont loin d’être respectés. C’est le cas du peuple Twa, expulsé de ses terres sans son consentement libre, préalable et éclairé au moment de la création, en 1975, du parc national de Kahuzi-Biega, dans l’est de la RDC. Les pourparlers engagés dans ce sens avec les autorités n’ont toujours pas connu d’issus satisfaisants.
Gratuité de l’enseignement
Le droit à l’éducation est un autre point positif du nouveau pouvoir. Le gouvernement a instauré, dès la rentrée scolaire 2019-2020, la gratuité de l’enseignement primaire.C’était l’une des promesses phares du président Tshisekedi, attendue par la population. Néanmoins le rapport note que cette avancée a été freinée par une mauvaise planification et un manque d’infrastructures, ainsi que par le financement insuffisant des écoles primaires. Tout n’est pas au beau fixe mais la volonté politique a été manifestée.
De la parole à l’acte
Dans l’ensemble, les droits humains sont mis à l’épreuve d’être respectés en RDC malgré qu’il y ait certains signes positifs. Les nouvelles autorités du pays sont encouragées à accorder leurs paroles aux actes pour un envol définitif. Les marges de manœuvre du président Félix Tshisekedi sont limitées par la coalition de circonstance avec son prédécesseur. Ce qui fait que le peuple congolais reste sur sa soif de voir venir un réel changement qu’il a toujours appelé de tous ses vœux.
© CongoForum – Arnaud Kabeya, 14.04.20