Congo-Belgique : la « réparation » a commencé ? (William Blondeel)

De la théorie à la pratique


Le mois de juin 2022 qui vient de s’achever entre dans les annales officielles belges et congolaises. La « réparation » du passé colonial semble avoir commencé. La restitution cérémoniale d’un masque géant (bien qu’il soit toujours prêté à long terme) et des restes physiques du Premier ministre Patrice-Emery Lumumba en sont les preuves. La commission de la Chambre des représentants de Belgique chargée d’enquêter sur le passé colonial a demandé et obtenu une prolongation jusqu’à la fin de l’année pour la rédaction de ses conclusions. Il est insensé de penser qu’il s’agirait d’une coïncidence miraculeuse. 


Beaucoup moins susceptible d’entrer dans les livres d’histoire est l’article posté sur le site Congoforum le 16 juin sur « Le voyage royal et la récupération de notre passé congolais : une voie obligée pour le développement » (voir url infra). Néanmoins, il avance une orientation pratique à un débat scientifique public sur les réparations, débat qui a tendance à s’embourber dans un enchevêtrement juridique et dans un impossible exercice de solde comptable à l’image d’une balance apothicaire pour des divers groupes de victimes. L’article est signé par sept universitaires congolais au nom de l’asbl Boluki et se termine par la phrase suivante : « Nous sommes des professeurs d’université congolais, en collaboration avec des universitaires belges ». Ces derniers restent anonymes. C’est dommage, car j’aimerais savoir qui, dans ce pays, est prêt à appuyer un avenir commun significatif entre la Belgique et le Congo. En outre, ils méritent que leurs noms soit connus car cette contribution dessine une perspective concrète pour la restitution comme la voie à prendre vers la « récupération de la reconnaissance et la fierté de notre passé ». Dans la logique de l’article, ce « nous » désignera les signataires congolais, mais il est aussi ouvertement revendiqué par les partenaires belges.


Plaidoyer pour une approche globale

En substance, l’article affirme que le retour des objets devrait s’accompagner d’un « large programme éducatif », qui serait mené par des professeurs – évidemment – mais aussi par « des anciens du village, des chefs traditionnels, des artistes et des penseurs ». Les auteurs partent du constat que « la colonisation a provoqué une rupture entre notre peuple (congolais, N.B.) et notre passé ». Les responsables de cette situation sont, nommément, « l’administration coloniale, les sociétés industrielles et l’activité missionnaire ». Pour retrouver la fierté et la connaissance de ce passé « perdu », l’article met en avant « le travail scientifique et ethnographique du passé » qui a « permis de sauver une partie importante du patrimoine culturel congolais ». À cette fin, il se réfère au travail ethnographique d' »un assez grand nombre de missionnaires », pour la plupart « étrangers » (les pères belges Hulstaert et Verbeek sont nommément cités), mais aussi « la grande figure du premier abbé congolais Stefano Kaoze ». (Note : le titre d' »abbé » – supérieur d’une abbaye, d’une communauté monastique – est attribué ici à tort à Kaoze. Il est cependant le premier « abbé » noir du Congo, un prêtre séculier diocésain, ordonné en 1917 dans le vicariat apostolique du Haut-Congo, affecté aux Missionnaires d’Afrique, appelés les Pères Blancs). En vue du programme pédagogique souhaité, l’article attire également l’attention sur la collecte, l’accessibilité et l’interprétation des témoignages congolais sur la période coloniale. Elle s’inquiète également de l’abandon actuel des objets culturels dans les musées congolais et de la préservation du patrimoine documentaire (y compris contemporain) de la RDC tout court.

Une proposition de poids

L’article offre un excellent complément à ce qui a été dit et écrit sur les réparations dans le rapport des experts de la Commission spéciale de la Chambre des représentants de Belgique sur le passé colonial (publié en octobre 2021) et dans les auditions thématiques de cette même commission (tout récemment les 27 juin et 4 juillet). La contribution dessine les contours d’un programme éducatif complet, qui pourrait inclure une coopération belgo-congolaise faisable et en même temps une démarche commune de réflexion et une école d’apprentissage. 


Par exemple, il permet d’intégrer l’approche devenue populaire mais néanmoins limitée de l' »art pillé » dans une approche beaucoup plus large de la production culturelle congolaise et du dialogue entre les arts occidentaux et africains. On ne sait toujours pas comment des experts et des représentants du peuple peuvent passer tout un après-midi à débiter des réflexions sur la restitution d’objets (site web House of Representatives, Special Committee on the Colonial Past, Hearing on ‘Restitution’, Friday 10 June 2022, Vidéo) sans aussi réfléchir fondamentalement sur leur signification spirituelle multiple et être ému par leur beauté. Elle nous permet également, à travers les témoignages congolais disponibles, d’élargir la focalisation sur la violence physique et la douleur mentale pour inclure d’autres interactions apparemment moins spectaculaires mais au moins aussi profondes à long terme. Prof. Clémentine Faïk-Nzuji, professeur ém. à l’Université de Louvain-la-Neuve, a su incarner cette large perspective il y a quelques semaines en tant qu’invitée à l’auditorium du CAPA à Tervuren lors d’une journée de conférences de l’association ‘Mémoires du Congo, du Rwanda et du Burundi’.  Elle a entraîné sans peine des dizaines d’anciens coloniaux dans sa passion pour l’univers africain des signes graphiques. Et sur sa table de livres, elle a offert le récit de son enfance Si le Congo m’était conté (2020), suite de son précédent recueil Tu leur diras (2005). Perles de mémoire, pour tout le monde. Enfin, la référence au travail ethnographique de plusieurs missionnaires soulève l’une des questions essentielles qui auraient pu animer les auditions sur la position de la mission catholique dans le cadre colonial (30 mai et 13 juin). Quel est la signification réelle de leur intérêt pour les cultures locales ? Chercher des points d’appui pour une christianisation plus efficace et donc un changement de comportement ? Est-ce que cet intérêt fait seulement partie de « la fascination coloniale pour l’altérité des sociétés et des coutumes de l’Afrique centrale » mentionnée dans le cadre de la présentation du récent projet de Kadoc « Angles. Dialogues with Africa Films » (KU Leuven) ? Ou serait-ce l’expression d’un malaise plus profond vis-à-vis de l’arrogant sentiment de supériorité qui animait les coloniaux et les missionnaires qui sont arrivés au Congo à la fin du 19e siècle ?

Enfin, un tel projet éducatif pourrait également nous apprendre quelque chose sur le processus même de la « réparation ». Finalement, depuis la période coloniale, le monde de « la » mission prend conscience que la « culture » n’est pas la propriété exclusive des européens mais est bien évidemment une caractéristique de toutes les sociétés. Cette prise de conscience ouvrait à la voie non seulement à la mise en place une structure organisationnelle de l’Eglise locale, mais aussi à une liturgie et une théologie quelque peu adaptées à la culture locale. Peut-être que la réparation est en cours sur le terrain pendant beaucoup plus longtemps que notre arrogance actuelle nous permet de se le réaliser ?

William Blondeel

7 juillet 2022

« Le voyage royal et la réappropriation de notre passé congolais : chemin obligatoire vers le développement » (Boluki asbl) (CongoForum) – Congoforum.be

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