Mariage et FAmille dans la société traditionnelle

MARIAGE / Déroulement                                                    

Ceci est ‚évidemment, un schéma très général. Il y a lieu de tenir compte aussi des autres fiches "Mariage", en particulier celles qui concernent l'endo- et l'exogamie(*), la CM(*) (Compensation matrimoniale), l'asymétrie(*) et l'inceste(*).

 

1. Choix.

 

En principe, le choix du conjoint est laissé aux intéressés, pour peu qu'il respecte les règles claniques d'endogamie et d'exogamie (*). La parenté d'un(e) jeune nubile n'interviendra que si le temps passe sans qu'il (ou elle) manifeste de préférence personnelle. De manière assez analogues à nos "bals du samedi soir" destinés entre autres à favoriser les rencontres, les jeunes gens des deux sexes participent à divers événements sociaux (danses, joutes sportives, etc…) qui leur permettent de "se montrer". Les grands rassemblements familiaux y jouent aussi un rôle : on constate avec humour qu’après un deuil, on se revoit souvent pour des mariages… Il peut y avoir des signes conventionnels qui équivalent à "laisser tomber le mouchoir".

 

2. Approches et négociations.

 

Assez couramment, la première démarche consiste, pour le prétendant, à remettre un présent à la jeune fille en lui demandant de le remettre à sa famille. Le cadeau était souvent choisi de manière à mettre en avant les qualités du prétendant. Par exemple, chez un peuple où les hommes ont pour principale fonction la chasse, une belle pièce de gibier, réputée difficile à tuer ou constituer un mets délicat. Il n'est pas rare que la décence impose à la jeune fille de refuser au moins une fois ou deux. En effet, même follement éprise, elle est censée offrir une certaine résistance par attachement pour son clan d'origine. (Souvenir rituel d'un rapt ancien présenté comme l'origine du mariage).

Le cadeau accepté, la famille de la fiancée fait savoir au prétendant qu'elle accepte d'ouvrir les négociations. Celles-ci sont l'occasion d'une première remise de cadeaux (distincts de la CM) destinés d'une part à montrer que le prétendant dispose de moyens matériels qui lui permettent d'entretenir convenablement une femme, d'autre part à créer une bonne ambiance autour des discussions. Dans ce but, ils comportent généralement une abondante quantité de boisson. (A plus d'un endroit, d'ailleurs, cet épisode est désigné par "la boisson").

Les négociations concernent les clans plus que les fiancés pris individuellement. De plus, ceux-ci sont socialement tenus de s'enfermer dans des rôles stéréotypés qui ont en commun de les rendre muets: la jeune fille parce qu'elle souffre du dilemme entre son désir de se marier et son attachement pour les siens, le garçon parce que l'amour et l'angoisse quant à l'issue de la négociation le privent de ses moyens. Le prétendant, s'il est présent (ce qui n'est pas toujours le cas) sera de toute façon représenté et assisté par des gens choisis dans sa parentèle et ses amis, parmi lesquels on aura soin de glisser des personnes qui soit ont une situation de prestige impressionnante, soit sont connues pour leur habileté dialectique dans ce genre de négociations.

On vérifie préalablement deux choses: le fait que le mariage ne constituerait pas un inceste(*), ce qui implique qu'on examine le généalogie des futurs époux, et le consentement de la jeune fille. Celui-ci est indispensable. Un mariage forcé se passe en Afrique de la même manière que chez nous: on arrache le "oui" de la mariée par des pressions morales ou physiques. Mais on ne peut pas s'en passer.

 

3. Compensation matrimoniale(*)

 

On se met ensuite d'accord sur un certain prix. Ici interviennent les Anciens du groupe, qui ont l'exclusivité des biens de prestige. Pas forcément de leur possession, mais de leur usage socialement reconnu comme efficace. Hors des mains des Aînés, une tête de bétail est une tête de bétail. Entre leurs mains, elle peut devenir l'objet d'une offrande sacrée, un instrument rituel, un moyen d'acquérir une épouse.

La liste des objets divers qui, en Afrique, ont eu le statut de bien de prestige ressemble au catalogue de Prévert: on y trouve strictement de tout, sauf le raton laveur. Parmi les plus solides piliers de cet assemblage hétéroclite figurent:

         les boissons alcoolisées, indispensables aux négociations;

         le métal, précieux ou non, en lingots ou façonné;

         le sel;

         les objets de provenance maritime, tels les coquillages;

         le petit et le gros bétail.

Collectivement ou individuellement, toutes les variations sont possibles, avec pour seules limites l'imagination de ceux qui demandent, et quelques limites très vagues posées par la coutume (qui impose plutôt des minima que des maxima).

Ce qu'il advient de la CM envisagée comme caution est repris sous l'entrée "Divorce" (*).

 

3. Passage des fiançailles au mariage.

 

Dans certains cas, il y a une cérémonie équivalente à celle que nous pratiquons en Europe, qui transforme en quelque secondes les fiancés en époux par un ensemble rituel de gestes et de paroles. C'est évidemment le cas là où le mariage, lié par exemple à la fin des obligations militaires de l'homme (Zulu) ou à son passage dans une nouvelle classe d'âge (Masai), fait l'objet d'une célébration collective et non privée. Les peuples christianisés ou islamisés insèrent la cérémonie reprise au rituel religieux exotique à cet endroit du processus.

Certains groupes pratiquent une sorte de "lune de miel" où le jeune couple est dispensé pour un temps (p. ex. un mois lunaire) de prendre part aux travaux courants et est même matériellement entretenu par les autres, afin de pouvoir se consacrer entièrement à engendrer son premier enfant. C'est le cas, par exemple, des Kikuyu du Kenya.

Mais il est courant aussi que les fiançailles constituent une période intermédiaire, pendant laquelle une partie de la CM sera payée par le fiancé sous forme de prestations en travail, cependant que la fiancée sera également tenue d'exhiber chez son futur époux ses talents agricoles et ménagers. Cette période peut également être consacrée à la construction de la maison. Celle-ci se situera le plus souvent chez le jeune homme (mariage patrivirilocal) mais parfois aussi chez la fille (mariage uxorilocal). En Swahili, "fiancée" se dit "mchumba", ce qui prête à plaisanterie, parce que "chumba" signifie chambre et "mu chumba", qui se prononce de la même manière, "dans la chambre"… En fait, la racine <-uba> qui se retrouve d'ailleurs dans "nyumba" (maison) signifie "construire" et la fiancée est "celle pour laquelle on construit".

Les fiancés disposent à peu près universellement durant ce temps de la possibilité de se fréquenter intimement, y compris certains jeux érotiques, mais pas forcément d'avoir des rapports sexuels complets. Par contre, certains peuples estiment que si le fiancé doit exhiber ses capacités en réunissant la CM, la fiancée doit elle aussi prouver ses capacités, et ne considèrent donc le mariage comme réellement conclu que lors de la première naissance, voir de la naissance du premier bébé mâle.

Durant toute la période des fiançailles, le fait de renoncer au mariage envisagé impliquerait la restitution de la CM. Les fiancés hésitants, et en particulier la jeune fille, seront donc l'objet de pressions sociales visant à les dissuader de tout changement de projets.

Il est fréquent, après le moment, comme nous l'avons vu variable, où l'union physique pleine et entière a été consommée, que le mari manifeste sa satisfaction en faisant un présent à la personne (variable suivant l'organisation lignagère) qui a été la principale responsable de l'éducation de sa femme. Chez les peuples qui attachent de l'importance à la virginité, ce cadeau manifeste que la fille était intacte. Ailleurs, il peut manifester une satisfaction plus globale et plus gaillarde. Là où ce rite existe, le cadeau est fait de toute façon, mais il a un sens positif ou négatif suivant qu'il est beau (exemple : une belle pièce d’étoffe) ou au contraire dégoûtant (une infâme vieille loque). S'il est positif, le mari perd le droit de répudier sa femme en se basant sur des considérations antérieures au mariage. Il a, en quelque sorte, signé un accusé de réception d'une femme en bon état et ne pourra plus s'en plaindre par après.

 

@ Guy De Boeck, 1995

Links:

Laissez un commentaire

Vous devez être connectés afin de publier un commentaire.